Les sans-dents sans bancs

France Culture
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par François Angelier

Tant attendu, l’hiver est donc là, bien là, enfin là, on le reconnaît à ses convois de saleuses en panne et à ses réveillons qui tournent mal, à ses gastro en chaîne et à ses extraits du Lac des cygnes lent à revendre sur internet, à l’augmentation du gaz et à ses mesures d’urgence. Notre hiver. Signe également indubitable de sa présence, ce qui vient d’avoir lieu à Angoulême et qui passe la mesure, au point qu’il était urgent de réagir. En effet, si « les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics, bancs publics, on des p’tits airs bien sympathiques », « les marginaux qui picolent sur les bancs publics, Morissette appelle les flics, appelle les flics, ont des trognes plutôt antipathiques ». Le SDF, comme chacun sait, hiver comme été, picolent sec, pissent dru, gueulent fort et surtout mobilise le bois des bancs et l’herbe des squares pour y ronfler ferme. On en a même vu, drame de la marginalité, qui lisait devant tout le monde. Mais, que voulez-vous, la pauvreté est tendance, il faut faire avec. Et c’est à ce titre que la municipalité d’Angoulême n’a pas hésité à financer, au seul usage des couche-dehors, des sans-dents et des crèves-la-fin, une ligne de mobilier urbain d’un concept audacieux. Triomphent en effet dans l’acier brossé des désormais célèbres « protège-bancs » angoumoisins, tout en grillage et cadre métallique, l’élégance sobre d’un design géométrique à la pureté minimaliste. Ils ont l’âpre poésie d’une préfourrière de la spa dessiné par Le Corbusier, la beauté grisante d’un bac de friteuse géante rêvé par un Philippe Starck nord-coréen. Mais, surtout, ils remplissent leur fonction : Les sans-dents sont désormais sans-bancs, c’est moins confort mais plus contemplatif. Mais, c’était compter sans le conservatisme de l’opinion. L’insolente modernité de ses chefs-d’œuvre d’art conceptuel et de modernité sécuritaire ayant déclenché un véritable tollé, on a du en suspendre l’exposition publique. Dommage, car il était question d’en faire des gabion, ces cages à pierre traditionnellement utilisé pour renforcer les digues. Apparemment les débordements gonflants d’un clochard aviné s’endiguent mieux que la crue d’une rivière grossie par l’orage. Il est vrai, par ailleurs, que le spectacle, baigné par la lumière morne de l’hiver, de neuf cages en fer pleine à ras bord de caillasse habille un lieux avec art et ne pouvait que revigorer une opinion municipale tenté par le fatalisme et guettée par le désenchantement.

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Heureusement d’autres classiques de l’art sécuritaire s’offrent toujours à nos regard : rebords de fenêtres tapissés de petits cônes métalliques décourageant toute fesse de s’y venir poser, banquette de métro exiguë et à pan incliné interdisant toute station couchée, entrée d’immeuble hérissées de pointes d’acier ou semé de gros galet, pour ne rien dire de ces grands classiques que sont les murs crêtés de tessons de bouteilles ou de ces cavalcades de chevaux de frise qui retentissent aux faîtes des grillages. Je reviendrais un autre jour sur la vidéo-surveillance qui, comme vous le savez, est le cinéma populaire de demain. En attendant que ceux dont « le domicile est celui de la pluie qui tombe », comme l’écrivait Léon Bloy dans « La Femme pauvre », se rassurent, en France on a peut – être pas de cœur mais on a des édiles. Fermons le banc.

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