Au palmarès des expressions absurdes et des attelages verbaux aberrants, juste après « dignitaires nazis » et «bombardier furtif », et juste avant « gala de charité », occupent fièrement la troisième place, l’inusable expression de « paradis fiscal ». « Paradis fiscal » ! Il fallait oser. Oser arrimer la délectable pureté édénique, les insouciantes jouissances paradisiaques, le pur monde du « travailler quasiment pas pour gagner infiniment plus», avec l’emblème sinistre de toutes les turpitudes saisonnières, la hantise du laborieux : l’impôt, l’impôt et sa meute de suppôts : délais, abattement, tranche, contrôle et imposition. Un paradis fiscal où n’accèdent d’ailleurs, bizarrement que les pécheurs : prévaricateurs et autres porteurs de mallette. « Paradis fiscal », alors oui, si l’on considère que c’est le règlement de l’impôt, de tout l’impôt, qui confère au contribuable le sentiment paradisiaque, la béatitude souveraine de la conscience en règle, celle qui n’a pas prêté oreille au serpent rôdeur de la défiscalisation ni mordu dans la pomme juteuse de l’évasion des capitaux. À défaut de quoi, voilant sa pudeur d’une feuille d’impôt, l’on se retrouve chassé de l’Éden fiscal, ce mondes des élus où chacun paye à temps tout ce qu’il doit.
Que ne ferait-on pas en mémoire du paradis terrestre ?
C’est sans doute cette tenaillante nostalgie d’un temps où Adam et Ève sirotaient des cocktails en relisant Proust, couvés par le tendre regard de l’Éternel, qui a poussé, comme nous l’apprend « Aujourd’hui en France », les directeurs de la chaîne D8 à proposer bientôt aux téléspectateurs « Adam recherche Ève ». Adieu les araignées de Fort-Boyard et les opérations survie de Koh-Lanta, cette nouvelle merveille de la téléréalité fait se rencontrer, foulant le sable le plus fin, ou s’immergeant dans l’eau la plus transparente d’un lagon polynésien, une couple d’inconnu totalement nus et possiblement amoureux. Mais, comme chacun sait, c’est le ver qui donne son goût au fruit, et que serait l’Éden sans son perturbateur. Survient en effet un tiers, femme ou homme, qui fissure l’intemporelle harmonie du couple qu’il rend coupable de ce péché originel : l’esprit de compétition. Saluons ce désir d’offrir au téléspectateur, laminé par la dureté des temps et terré, morose, sur son canapé, le spectacle idyllique du premier couple. Les choses ne sont hélas pas si simples : plans larges qui évite les cadrages un peu insistant, floutage des sexes, opportuns feuillages qui voilent les nudités sortant de l’eau. Bref, c’est bien Adam et Ève, mais chassé du paradis, Adam et Éve qui ont découverts qu’ils étaient nus et qui fuient talonnés par l’ange du CSA son glaive de feu à la main. Bref, vive « Adam recherche Ève », un programme qui nous rappelle que le paradis ignore la vidéo-surveillance et la téléréalité est la plus récente preuve du pécher originel. On a beau y apparaître nu, la télévision n’est vraiment pas le plus simple appareil.
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