Et si les pédagogies alternatives favorisaient le génie technologique

France Culture
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Les ingénieurs de la Silicon Valley mettent leurs enfants dans des écoles dont la technologie est bannie. Mesurons l’importance de cette information.

En ces temps où l’on fait entrer les ordinateurs et l’informatique dans les écoles et les programmes scolaires (aux Etats-Unis, mais en France aussi), ceux qui imaginent et fabriquent les technologies d’aujourd’hui et de demain, préfèrent pour leurs enfants les pédagogies alternatives et, en particulier les écoles Waldorf. Dans les écoles Waldorf (suivent les principes pédagogiques du penseur allemand Rudolf Steiner qui a fondé l’anthroposophie au tout début du 20ème siècle), on valorise le développement sensible, l’apprentissage par l’art, par le corps, mais surtout, on n’utilise pas l’ordinateur (et on conseille aux parents d’en éloigner les enfants, ainsi que de la télévision d’ailleurs). Or un quart des 160 écoles Waldorf que comptent les Etats-Unis sont situées dans le Nord de la Californie et elles sont pleines des enfants de cadres et ingénieurs des entreprises de high-tech qui les entourent. Les arguments avancés par ces parents sont troublants : le monde est plein d’informatique, d’ordinateurs et de machines, autant que l’école – et la maison - soient les lieux d’un rapport humain non médiatisé, qui favorise d’autres aptitudes que la technique et puis les enfants ne sont pas handicapés par ce retard car les outils numériques et les interfaces sont de plus en plus intuitifs, ce retard sera rattrapé en un rien de temps. De fait, statistiquement, les enfants qui sortent de ces écoles n’ont pas plus de mal que les autres (même si les statistiques sont viciées par le fait que la scolarité dans ces écoles étant chères, elles sélectionnent des familles qui non seulement sont favorisées, mais qui sont d’une manière ou d’une autre très motivées par l’apprentissage). En tout cas, ils n’ont pas l’air d’avoir de mal à intégrer un monde technologisé.

Et s’il fallait aller encore plus loin. Et s’il y avait un rapport vertueux entre technologie et pédagogies alternatives ? SergueI Brin et Larry Page, les deux fondateurs de Google, Jeff Bezos, le PDG d’Amazon, Jimmy Wales, le créateur de Wikipédia, - et je ne prends que les plus connus – sont des produits des écoles Montessori. Le fruit d’une pédagogie qui créé un environnement collaboratif, sans niveau, sans note, avec des classes aux âges différents, des apprentissages par longues périodes et auto-dirigés. Google, Amazon et Wikipédia provenant de Montessori, ça n’est pas rien. Ca suffit pour établir un rapport de causalité entre pédagogie alternatives et technologies.

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Néanmoins, je voudrais lancer un avertissement solennel aux parents qui nous écoutent et se disent sûrement : « vite, je vais mettre mes enfants dans une école Waldorf ou Montessori, comme ça ils révolutionneront les technologies et deviendront des milliardaires de l’Internet ». Non non, ça n’est pas si simple, le lien n’est pas si mécanique. Et, si vous me le permettez Marc je vais parler de moi (ce que je déteste faire, mais parfois cela s’impose), je suis même l’exemple vivant que ce lien n’est pas mécanique. Car j’ai passé ma petite-enfance – cette période si décisive de l’apprentissage – dans une école Waldorf, et aux dernières nouvelles, je ne suis toujours pas milliardaire de l’Internet. La raison est peut-être que j’ai échoué. Oui, je suis un échec de la pédagogie Steiner. (On ne parle jamais des gens qui échouent dans les pédagogies alternatives – comme si parce qu’une pédagogie était alternative, elle était facile, mais ça n’est pas le cas). Incapable de dessiner, n’ayant aucune oreille musicale, aucune inventivité artistique, aucune créativité, étant nul en eurythmie (c’est un mode d’apprentissage par le corps), détestant l’autonomie, j’ai dû redoubler la grande section de maternelle de cette petite école merveilleuse avant d’être exfiltré dans le système scolaire traditionnel et de m’épanouir dans l’apprentissage des règles et l’exécution d’exercices rébarbatifs. C’est peut-être pour ça que je ne révolutionnerai pas les technologies, que je n’inventerai pas la plateforme qui change votre vie, que je n’écrirai pas les lignes de code qui redessinent le monde, mais que je me contenterai de commenter chaque matin les inventions des autres, avec l’ironie envieuse du laborieux sans génie.

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