Petit précis de dandysme numérique

France Culture
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Il y a quelques jours, j’arrivais comme chaque matin dans ce studio à 6h30, pour prendre un petit café avant de me livrer à ce pensum quotidien consistant à écrire cette chronique quand je tombai au milieu d’une conversation entre Marc Voinchet et Amélie Perrier, qui devisait avant de prendre l’antenne. Amélie Perrier parlait de quelque chose, je ne sais plus quoi quand Marc lui demanda : « Mais où tu as lu ça ? » (Je précise que les journalistes radio, dans la vie, aussi bizarre que ça puisse paraître, se tutoient. J’ai peur de faire tomber un mythe mais les couloirs de Maison de la radio ne sont pas pleins de gens occupés à se faire des révérences en se disant « comment allez-vous ce matin ? »). « Mais tu as lu ça ? » demanda donc Marc Voinchet à Amélie Perrier. Et Amélie Perrier de répondre, avec un sourire « Sur Internet ». Et là, Marc Voinchet, particulièrement réveillé ce matin, s’esclaffa « Ah ah ah… sur Internet… comme c’est mignon de dire ça… sur Internet…. comme c’est drôle… » Et là, comme Marc Voinchet m’aperçoit en train d’essayer de me verser un café à partir des thermos les plus mal designé de l’histoire des thermos, et il me lance « eh ben dis-donc mon lapin, tu devrais nous parler de ça un jour… « sur internet »…. » (au risque de faire tomber un second mythe, tout le monde dans les couloirs de la Maison de la radio s’appelle « mon lapin »). Donc je m’exécute. Enfin, je m’exécute pas vraiment –il ne faut pas exagérer non plus – mais je vais me permettre de vous donner quelques conseils pour paraître connaisseur en matières numériques, pour donner l’impression d’appartenir à la petite communauté de ceux qui y comprennent quelque chose, qui maîtrisent, qui sont un peu avance sur les autres. Autrement dit, si vous deviez retenir une chronique de tout ce que je blablate depuis quelques mois. Prenez note, vous m’en remercierez un jour.

On ne dit pas « sur Internet » (ou alors avec le petit sourire d’Amélie Perrier). On disait « Sur Internet » au début des années 2 000, quand Internet était une sorte de vaste territoire inconnu, qui rendait un peu suspect tout ce qui en provenait. Aujourd’hui on caractérise : je l’ai lu sur Twitter, sur Facebook, sur tel ou tel site. Bref, on montre que l’on sait distinguer, qu’on sait trier le bon grain de l’ivraie.

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Mais c’est presque un détail. L’important est à venir. D’abord, comme tout dandysme, le dandysme numérique est d’abord affaire d’apparence. On commence donc par customiser son ordinateur. C’est-à-dire qu’il faut que votre ordinateur soit à la fois dernier cri et personnalisé. Quelques autocollants bien choisis feront l’affaire. Ils montreront que vous n’avez pas pour votre machine un respect craintif, mais qu’elle est un objet usuel, support aussi de vos goûts ou vos engagements (personnellement j’ai complètement raté la customisation de mon ordinateur parce que c’est ma fille qui s’en est chargé en collant un énorme autocollant offert par une compagnie d’assurance et montrant le judoka Teddy Riner émergeant d’un nuage les bras croisé. C’est ridicule et ça me décrébilise immédiatement).

Cet ordinateur customisé, il faut le manipuler souplement, l’air de rien, comme s’il ne vous pas coûté 2 000 euros. Surtout pas comme le fidèle qui transporte le Livre sacré.

Ensuite, une fois votre ordinateur allumé, ouvrez le plus d’onglets possibles dans votre navigateur. Plein d’onglets, ça veut dire (phrase inachevée).

Quand vous tapez votre clavier, ne tapez pas comme une brute. Et utilisez plusieurs doigts. Même si ça vous prends plus de temps, et que vos mots se retrouvent pleins de lettres indésirables.

Quand vous écrivez votre premier tweet du matin, ne dîtes pas « Bonjour Twitter ». Ca me rappelle cet ami grandi dans le midi de la France qui lorsqu’il vint pour la première fois à Paris à l’âge de 20 ans, entra dans le métro en lançant à la cantonade un « bonnejoooor » tonitruant. Ne faîtes pas ça sur Twitter, et dans le métro non plus cela dit.

Quand vous donnez rendez-vous à quelqu’un que vous ne connaissez pas encore physiquement, que vous ne connaissez encore que par les réseaux. Ne lui proposez pas une rencontre IRL (pour In Real Life, l’acronyme qui désignait la vie physique, par opposition à la vie en ligne), ça c’est années 2000, proposez-lui une rencontre AFK (« Away from Keyboard », loin du clavier).

Quand on vous parle d’un site que vous ne connaissez pas, d’une application dont vous n’avez jamais entendu parler, vous dîtes : « Ah oui, j’avais vu la version Bêta, je n’y suis pas retourné depuis, c’est comment maintenant ? » La version Bêta, c’est la version test, en général réservée à quelques initiés. Avec un peu de chance, votre interlocuteur se sentira immédiatement humilié et, de surcroit, vous fera un descriptif qui vous sera précieux pour la suite de la discussion.

Bref, il faut prendre au sérieux le fait que le numérique est devenu une culture, et comme toute culture, elle a mis en place des processus de distinction. Et nécessite des stratégies de dissimulation de nos incuries. Il faudrait un jour un Pierre Bayard pour écrire un Comment parler des sites que je n’ai pas visités .

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