Le livre Laure Heinich, Porter leur voix, Un avocat sans effet de manches , composé à partir du blog qu’elle sur Rue89, évoque à plusieurs reprises les commentaires que les internautes apposent aux posts de son blog. Des commentaires parfois durs, voire violents sur certains sujets, au point qu’une fois au moins, sa chronique a été déplacée dans un espace moins exposé du site pour éviter le déchaînement.
Question passionnante que celle des commentaires.
Question passionnante parce que la possibilité donnée à l’internaute de commenter ses lectures est un acquis indiscutable d’Internet. Si l’on voulait grossir le trait, on pourrait dire que ce qui distingue la position de l’internaute de celle du téléspectateurs ou de l’auditeur de radio, c’est qu’il peut commenter publiquement, et qu’il y aura trace de son commentaire (c’est une expérience qu’on a tous fait de gueuler devant son poste de télé ou son poste de radio et d’enrager d’impuissance face à l’inutilité totale de cette colère le commentaire a au moins la vertu de la matérialiser). Et pourtant, au quotidien, les commentaires posent maints problèmes aux émetteurs du propos initial : s’ils peuvent être nécessaires parce qu’ils apportent des informations complémentaires, contradictoires, ou parce qu’ils corrigent des erreurs, les commentaires ne sont pas toujours passionnants –pas très grave -, pas toujours très argumentés –pas très grave non plus -, mais ils sont facilement agressifs (envers l’auteur du papier, envers le sujet, envers le commentaire précédent), ce qui est plus embêtant. Sur certains sujets, cela vire inévitablement au pugilat. Du coup, il faut s’en occuper, modérer, ça prend du temps, et ça pose très vite des questions éthiques et politiques.
Ces questions animent toutes les rédactions, tous les bloggueurs et bloggueuses un peu lus. Tout le monde se trouvant pris dans des contradictions. Etre présent sur le Web, c’est accepter le jeu du Web, d’accord, mais jusqu’où ? On craint les commentaires, mais on craint encore plus leur absence : ne pas être commenté, c’est comme si on intéressait pas… Les journalistes en discutent entre eux, râlent, les médias édictent des chartes, changent régulièrement leur stratégie : modération a priori (il doit être validé pour apparaître), a posteriori (il apparaît mais peut être retiré si il est litigieux), signalement des commentaires litigieux pas des tiers, par des robots qui repèrent des mots clés, voire carrément suppression des fils de commentaires. Une solution adoptée très marginalement pour une raison évidente, il est presque impossible de se priver d’un acquis démocratique : la possibilité donnée par un média de critiquer la position d’autorité.
Alors, revenons au point de départ : qu’est-ce que c’est un commentaire ? On met sous un même nom, et une même forme, des choses très différentes : la réaction épidermique, la correction de forme, la lecture hyper attentive, l’opposition politique…. Transposons cela dans un monde hors ligne : vous vous mettez dans la rue et vous parlez. Les commentaires ce seraient la mise sur le même plan de la personne qui vous a bien écouté et vous réponds de manière argumentée, de la personne qui relève vos fautes de syntaxe, de celle qui trouve que vos chaussures sont mal cirées, de celle qui vous trouve inconditionnellement merveilleux, du dingue de passage qui entend ce qu’il veut, des conversations qui prennent dans l’auditoire et qui portent sur complètement autre chose, etc. Les commentaires rassemblent tout cela et le mettent au même niveau. Sachant par ailleurs qu’ils ne gardent aucune trace de ceux qui écoutent sans rien dire (qu’ils soient d’accord ou pas), de ceux qui passent sans écouter.
Une fois dit cela, qu’est-ce qu’on fait ?
on pourrait distinguer ces différentes catégories de commentaires, les faire apparaître différemment selon qu’ils sont une simple correction, un éloge, un coup de gueule, une discussion. Ou alors, au contraire, on accepte ce mélange comme une caractéristique de la conversation numérique qui a pour vice et vertu de faire tout apparaître au même niveau sauf le silence. Et on trouve un moyen de faire apparaître le silence, de faire apparaître l’absence de commentaire. Je ne sais pas comment ça pourrait marcher, mais je trouverais ça beau qu’il y ait une zone pour le commentaire et un espace pour le silence. Que le web garde trace du silence aussi.
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