Elles poussent comme des champignons, un peu partout dans les grandes villes d'Europe et plus difficilement à Paris, où on ne les compte même pas sur les doigts d'une main. Les coopératives d'habitants : un concept innovant pour construire son immeuble et habiter son logement.
Face à l'envolée des prix de l'immobilier, à l'enjeu climatique, au nouveau besoin de convivialité, le marché ne propose souvent qu'une offre rigide peu innovante et tarde à s'adapter. Les politiques sont souvent otages de vieux schémas et manquent aussi d'imagination. Partout en Europe et ailleurs, des groupes de citoyens veulent reprendre le pouvoir de concevoir leur logement. Le pouvoir de faire plutôt que de subir.
L'outil, ce sont les coopératives d'habitat. A côté des coopératives de production et des coopératives de consommation, elle font partie de la grande famille de l'Economie Sociale et Solidaire. On les distingue mal de l'habitat participatif, particulièrement en France. Le mouvement d'émergence des Coops d'habitat a du mal à trouver sa place, car il se heurte à la tradition de production de logement économique par les organismes HLM.
La nouveauté vient de la Loi ELAN, notamment, qui prévoit de modifier cet état de fait en coupant les budgets du logement social et en dérégulant la construction; ce qui aura un impact très probable sur la qualité des logements construits. Par ailleurs, les dispositions nouvelles prévoient de modifier le fonctionnement des CAL (commissions d'attribution de logement). Cela pourrait avoir pour effet d'exclure du logement social le segment de population aux revenus situés dans la tranche supérieure, c'est-à-dire les classes moyennes. Or cette population ne trouvera pas à se loger dans le parc privé devenu trop cher, surtout en zone urbaine tendue. La Loi ELAN risque donc de créer un vide pour le logement des classes moyennes dans les grandes villes. Pour éviter la relégation en périphérie, cette catégorie de population va devoir s'organiser et produire elle-même son logement collectif, comme cela se fait déjà dans les pays qui ont dérégulé le logement social. Le cas le plus évident est celui du Royaume-Uni avec Margaret Thatcher. Ceci implique que les coopératives d’habitants doivent pouvoir continuer à avoir accès aux Prêts du Logement Social pour les habitants avec des revenus inférieurs au plafonds sociaux.
Un modèle alternatif et un autre rapport à la propriété
La coopérative d'habitation commence par un groupe d'habitants souvent animé de valeurs sociales, environnementales et soumis à la contrainte de leur pouvoir d'achat immobilier. Il décide de concevoir un projet de vie collectif dans un immeuble qui sera pensé pour répondre à leurs besoins. Le projet est souvent ambitieux, car ces groupes, s'ils cherchent l'économie de moyens, ne renoncent pas du tout à la qualité des usages. Bien au contraire, le bâtiment est souvent très bien conçu car c'est sa durabilité qui assure l'équilibre financier. Le mouvement va donc au rebours de la baisse de qualité en cours dans le secteur privé.
Pour les plus grands groupes d'habitants, le projet peut incorporer des espaces mixtes d'activité, des commerces, des groupements d'achats, du partage de voiture. D'une manière générale, la mutualisation offre la possibilité de nouveaux services collectifs et une meilleure organisation de l'espace.
Le fonctionnement repose sur la responsabilisation des habitants. Les décisions sont prises à la majorité des coopérateurs selon le principe un homme - une voix. C'est une grande différence avec les copropriétés où les décisions sont prises à la majorité simple ou qualifiée des tantièmes. Le droit de décider est ainsi déconnecté de la mise de fonds individuelle, pour mettre en avant la notion de propriété collective via la pratique par consensus ou par consentement.
Les conditions d'entrée et de sortie sont régies par les statuts de la coopérative qui est propriétaire du bâtiment et a assuré parfois aussi la maîtrise d'ouvrage. Les coopérateurs sont sociétaires, c'est-à-dire associés de la coopérative. Le contrat de coopération qu'ils signent avec la coopérative leur garantit l'usage d'un logement et l'accès aux espaces partagés. En contrepartie, ils versent une redevance mensuelle qui couvre les charges d'emprunt que la coopérative a dû souscrire pour financer la construction et le cas échéant entretenir l'immeuble. Ils peuvent donc épargner contrairement aux locataires. Leur épargne leur sera versée le jour où ils décideront de déménager ou en cas de décès à leurs héritiers.
Toutefois, des mesures anti spéculatives plafonnent la réévaluation des parts de la coopérative, qui ne suit pas les prix du marché immobilier, surtout comme actuellement en période de forte inflation des prix de l'immobilier.
Pourquoi la France est elle en retard ?
Le modèle des coopératives parfaitement adopté dans les pays scandinaves et de tradition germanique, mais aussi au Québec ou encore en Amérique Latine, se heurte en France à la culture très forte de la propriété individuelle. Il se heurte aussi à la présence très forte de la puissance publique dans la production de la ville.
L'idée de laisser aux habitants l'initiative de concevoir et bâtir est encore très éloignée de l'esprit de beaucoup d'administrateurs publics. La réglementation de l'urbanisme traduit cette conception en édictant des règles très strictes d'autorisation et de contrôle, au point que même les plus grands promoteurs militent notamment dans la loi ELAN pour une simplification. Il en résulte une faible implication des municipalités auprès des groupes d'habitants qui se constituent ici ou là. Or c'est une condition primordiale.
Dans la plupart des pays où se construisent de nombreuses coopératives d'habitants, les mairies fournissent le terrain, parfois une aide financière dans la phase initiale pour aider sur la faisabilité. Dernier point, elles garantissent les prêts que souvent les banques refusent faute de ressources suffisantes des groupes d'habitants. Car c'est l'autre frein, et la conséquence de ce qui précède, la réglementation en matière de promotion/construction ne favorise pas ce modèle bien au contraire. Certes, la loi ALUR a fait renaître le cadre juridique des sociétés d'habitat participatif (coopératives d'habitat et société d'auto-promotion) mais elle a négligé de mettre en place les financements. Pour les projets d'auto-promotion, elle néglige de prendre en compte le phénomène économique de l'auto-consommation : elle a ainsi prévu une garantie financière d'achèvement comme pour les promoteurs qui font l'intermédiation pour le compte de clients consommateurs, profanes en matière de construction/promotion et qu'il convient de protéger. Les coopérateurs se placent eux dans une dynamique d'apprentissage et d' acquisition des connaissances nécessaires à la réalisation de leur projet et n'ont pas le capital nécessaire pour contre garantir les établissements financiers. Du coup, en pratique, aucun ne s'engage sur des projets d'auto promotion.
Autre frein réglementaire touchant aux financements, le prêt à taux zéro et le prêt accession sont liés à des conceptions de la propriété individuelle. Les instructeurs des dossiers refusent de l'étendre aux formes de propriété collective. En pratique, cela interdit de pouvoir souscrire ce type de prêt pour amorcer le projet et lever ensuite les financements bancaires au niveau de la société coopérative.
La Coordin' action fédère 14 associations qui militent pour le développement de l'habitat participatif. Elle a participé à la conférence de consensus sur la loi ELAN mais aucune avancée ne semble se matérialiser pour le moment.
Les grands promoteurs disent réfléchir à ces nouveaux modèles mais il faut bien dire que l'habitat participatif est bien souvent encore un argument purement marketing en trompe-l'œil où la participation est réduite à la portion congrue.
Le foncier, la question clef
Si les municipalités ne réservent pas d'espace à ces formes de logement dans leurs plans d'urbanisme et sur les terrains publics, la pression du marché l'emportera. A Montreuil, par exemple, la municipalité vient de fixer dans son Plan Local d' Urbanisme l'objectif d'un minimum de 5% d'habitat participatif. Un bon début.
Gaylord Le Chequer, adjoint à l'urbanisme et au développement durable de la ville de Montreuil :
"A Montreuil, le participatif c'est notre ADN"
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A Paris, le Buisson Saint-Louis, dans le 10e arrondissement, a vu le jour en 1983. S'il est pionnier, il n'a toutefois pas fait figure de modèle.
“Utop” est la première coopérative d’habitants “Loi ALUR” en France, créée en mai 2016, ce projet de coopérative d'habitants dans le 20e arrondissement a été lauréat de “l’appel à projet parisien pour le développement de l’habitat participatif”. La Mairie de Paris avait également lancé un appel à projet sur 3 petits terrains il y a quelques années. Mais aucun projet ne semble sortir de terre à ce jour et cela illustre la question de l'échelle pertinente pour ce type de projet. Un autre projet parisien mené autour d'un promoteur rue Ordener est en panne car le terrain fourni par la Mairie est pollué au point que le bureau d'études saisi de la mission de dépollution se déclare incapable de la garantir. Cependant, la Coop SVP, créee en 2010, vient enfin d'obtenir le feu vert municipal. Elle verra le jour sur la friche de l'Hôpital Saint-Vincent de Paul, dans le 14e arrondissement de Paris.
Francis Bermond, de la Coop SVP, raconte :
La coop SVP sur la friche Saint Vincent de Paul, dans le 14e arrondissement de Paris, presque 10 ans d'attente
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Plusieurs municipalités en France ont compris ce besoin et s'engagent. Ainsi, à Lyon/Villeurbanne, Strasbourg ou Grenoble, la mairie s'engage pleinement. Toulouse vient de livrer en février dernier un immeuble de 90 logement en coopérative baptisé Abricoop. Un bon début et une réelle volonté d'aller plus loin sur ce chemin, long et semé d’embûches, de l'économie sociale et solidaire.
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