La proposition de loi de Philippe Latombe sera-t-elle adoptée par l'Assemblée ? Après avoir lui-même bataillé pour obtenir la garde de ses filles une semaine sur deux, le député MoDem propose que la résidence alternée soit la règle, plutôt que l'exception. Son texte, remanié, fait encore polémique.
L’Assemblée nationale devrait étudier ce jeudi soir une proposition de loi du député Modem Philippe Latombe qui relance le débat sur la résidence alternée.
Seulement 17%, c'est la proportion de couples séparés qui décident de mettre en place la résidence alternée. Un chiffre qui n'est pas différent de la plupart des pays, notamment anglo-saxons, parce que dans les faits, cette solution est impossible à mettre en place.
Intox sur la résidence alternée
Contrairement à ce que clament les associations de défense des pères, la résidence alternée ne manque pas à la loi. Depuis la loi du 4 mars 2002, le code civil propose aux parents la résidence alternée à égalité avec la résidence simple chez l'un des parents, sans privilégier l'une ou l'autre. Dans les faits, selon les chiffres du ministère de la Justice de 2012, 80% des couples arrivent devant le juge en ayant pris leur décision. 10% d'entre eux ne sont pas d'accord et 10% n'ont pas d'avis sur le mode de garde de leurs enfants.
Résultat, il n'y a que 19% des parents qui demandent la résidence alternée (et après des enquêtes sociales, la justice ne l'accorde qu'à 17% d'entre eux) et ainsi, dans près des 3/4 des cas c'est la résidence de la mère que les deux parents ont choisi.
Les freins à la résidence alternée
Le premier, c'est le conflit entre les parents. Un mode de résidence alternée ne peut fonctionner que si les deux parents sont d'accord.
Trop souvent, les enfants sont écartelés entre leurs parents, qui continuent de se dénigrer devant leurs enfants et qui ne s'accordent ni sur la fréquence ni sur la durée de la résidence alternée.
Pascale Loué Williaulme, ancienne juge aux affaires familiales et secrétaire nationale de l'Union Syndicale des magistrats
Le coût d'une résidence alternée est aussi très important. Il faut deux logements capables d'accueillir les enfants, deux voitures, deux nounous, des vêtements en double. La plupart des résidences alternées sont du coup choisies et mises en place dans des milieux favorisés.
L'âge de l'enfant est également très important. Il n'y a pas vraiment d'unanimité chez les professionnels de l'enfance, mais de nombreux pédopsychiatres (sur la ligne de nombreux parents) considèrent qu'avant 5 ou 6 ans le changement régulier de domicile nuit à l'équilibre de l'enfant. Or aujourd'hui, les 3 quarts des enfants en résidence alternée ont moins de 10 ans.
Quand j'ai accepté la garde alternée, ma petite dernière avait 4 ans. Si c'était à refaire, je privilégierais la résidence simple. Parce que je pense qu'avant 9 ou 10 ans, un enfant a besoin de pouvoir se réfugier dans sa chambre, avec son univers, pour pouvoir construire sa vie intérieure. Or, avoir deux chambres, une chez papa, une chez maman, c'est finalement n'en avoir aucune.
Olivier, père de 4 enfants en résidence alternée.
La disponibilité des parents est aussi un paramètre très important. Il faut une proximité géographique (accepter d'habiter proche de l'ex) et surtout avoir du temps en plus de sa vie professionnelle.
D'après l'enquête que nous menons dans les tribunaux de couples depuis 2009, tous les arrangements d'emploi du temps se font au détriment de la mère et pour satisfaire les contraintes professionnelles du père. Ce sont, par exemple, presque toujours les mères qui prennent en charge les mercredis.
Sibylle Gollac, sociologue co-auteur avec le collectif Onze de "Au tribunal des couples"
Une nouvelle loi de circonstance ?
Philippe Latombe, le rapporteur de cette nouvelle loi, veut faire de la résidence alternée un principe, auquel le juge ne pourra déroger qu'à titre exceptionnel. Lui même divorcé, il raconte avoir traversé de grandes difficultés pour obtenir la résidence alternée de ses deux filles, à cause de sa vie professionnelle chargée. Et d'ajouter que ce mode d'organisation lui a permis de mieux équilibrer sa coparentalité.
D'où l'idée de rendre presque obligatoire la résidence alternée, comme c'est le cas en Belgique ou en Italie où les chiffres ont doublé atteignant 40% des couples en Italie. Alors que cette garde égalitaire ne concerne que 14% des couples séparés aux Etats-Unis et 20% au Québec. Mais ces chiffres ne recouvrent pas toute la réalité.
Un magistrat belge me confiait récemment qu'en Belgique la résidence alternée c'est une semaine chez maman, une semaine chez mamie. Le danger de ce texte est qu'il impose la résidence (c'est à dire le lieu administratif de la garde) alternée mais ne dit rien sur la prise en charge effective et concrète des enfants.
Sibylle Gollac, sociologue au CNRS
11 associations féministes ou de protection de l'enfance dénoncent donc aujourd'hui le flou de cette proposition qui ne dit rien sur les modalités ni sur la fréquence de la garde des enfants (qui peut aller de 10 à 90% du temps) et qui en imposant la résidence administrative alternée pourrait surtout permettre à certains pères de toucher les allocations familiales, ou de payer moins d’impôts, voire de ne plus verser de pension alimentaire.
Le texte ne va donc pas forcément dans le sens de l'égalité hommes femmes et surtout il est bien loin de l 'intérêt supérieur de l'enfant (principe de base qui n’apparaît plus dans la proposition).
Enquête de Cécile de Kervasdoué
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