Anne Cheng : La Chine pense-t-elle ?

Anne Cheng
Anne Cheng - Patrick Imbert / Collège de France
Anne Cheng - Patrick Imbert / Collège de France
Anne Cheng - Patrick Imbert / Collège de France
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Avec
  • Anne Cheng Sinologue, titulaire de la chaire « Histoire intellectuelle de la Chine » au Collège de France.

Aujourd'hui, nous questionnons,  les représentations de la Chine, en compagnie de la sinologue Anne Cheng : comment l’autre extrémité du continent eurasiatique se pense… ?

Cette normalienne, qui a mené ses travaux de recherche et d'enseignement sur les sources de la tradition et de la modernité chinoises, d'abord au CNRS, puis à l'INALCO, aime rappeler que la Chine et l’Europe appartiennent au même continent. Née de parents chinois en France, son père reste quand sa mère regagne une chine coupée du monde, Anne Cheng revendique une double appartenance et se bat contre « les poncifs les plus éculés sur une Chine éternelle, lisse et consensuelle », les représentations contradictoires et concomitantes, héritées de « l’image d’une Chine philosophique » chère à Voltaire, face à « celle d’une Chine, issue d’un despotisme oriental » à la Montesquieu. Elle note, du public aux élites, la « préoccupante ignorance » vis-à-vis de la Chine. A côté des incontournables Confucius et Lao Tseu, qui connaît Zhu Xi « qui a eu la portée d’un Thomas d’Aquin ou d’un Luther » ?

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Si les chercheurs français ont inventé d’une certaine manière la sinologie, elle souligne « l’essor sans précédent » de la sinologie américaine, à partir des années 1980. Du fait des enjeux géopolitiques liés à la Guerre Froide et aux évolutions économiques et culturelles liées à la mondialisation, les « Américains ont été les premiers à comprendre que la Chine ne pouvait plus être considérée comme un Autre exotique et fascinant ». Il faut désormais compter avec elle. Anne Cheng décrit la mise en place d’une « autoroute » au-dessus du Pacifique, qui permet la circulation permanente d’universitaires chinois ».

De son côté, la Chine devient un « intervenant actif » au service de la « réappropriation de son passé », après « la rupture de la modernité et partout un siècle de révolutions », ce qui n’est pas sans risque, comme celui de « l’auto-orientalisation ». Dans une interview de 2012, elle remarque :

« la domination de la pensée de l’altérité est gênante parce qu’elle renforce la position du pouvoir en place, qui a beau jeu de s’appuyer sur ces arguments culturalistes pour prendre prétexte de l’altérité radicale entre la Chine et l’Occident afin de récuser les aspirations démocratiques » (La Tribune)

Anne Cheng  expose les difficultés qui attendent le sinologue et elle recommande de pratiquer une « écoute musicale », d’« entraîner et affiner notre oreille à écouter parler les textes et les auteurs chinois dans le leur langue et leur contexte » et d’analyser comment les idées ont circulé entre elles à l’ère moderne entre l’Europe et la Chine, mais aussi dans un espace asiatique, où l’écriture en caractères chinois a pu jouer par le passé le rôle du latin en Europe.

« penser en chinois aujourd’hui, nous dit-elle, c’est utiliser des mots dont l’origine peut être ancienne, mais dont le sens doit être replacé dans le contexte historique précis de leur réinvention moderne ».

Et nous gagnons le grand amphithéâtre du Collège de France pour la leçon inaugurale d’Anne Cheng, La Chine pense-t-elle ? le 11 décembre 2008.

Pour prolonger :

Le texte de cette leçon a paru chez Fayard, 2009.

Edition électronique

Anne Chang a publié une traduction en français des Entretiens de Confucius (1981) et une Histoire de la pensée chinoise (Points Seuil).