Alia est une adolescente lumineuse mais il n'en a pas toujours été ainsi. Dyslexique, incapable de comprendre les mathématiques quand elle était jeune, Alia est aujourd'hui parfaitement "rééduquée". Grâce à une méthode révolutionnaire.
La journée internationale des dys se déroule tous les 9 octobre et veut sensibiliser la population au sort de ces centaines de milliers de personnes qui ne parviennent pas à lire, écrire, ou compter de façon fluide. L'origine de ces maux réside dans le cerveau des "dys", qui fonctionne différemment. À la fois plus actif qu'un cerveau dit "normal", il est aussi incapable de procéder à certaines liaisons. Or il est possible de les recréer.
Alia et ses camarades dys en sont la preuve. La jeune fille m'a donné rendez-vous devant la gare de l’Est, à Paris, à deux pas de chez elle, juste après les cours. Cartable sur l’épaule, jean et pull bleu marine, elle a les yeux qui pétillent et arbore un immense sourire. Nous avons de la chance, ce soir elle a quitté le lycée Bergson à 17h, ce qui est plutôt rare puisque Alia a choisi de prendre deux options - histoire en anglais et cinéma - en plus de ses spécialités. Un programme bien ambitieux pour une jeune fille qui a redoublé sa classe de seconde et qui plafonnait à 9 de moyenne, au mieux, quand elle était au collège.
Une succession d'échecs scolaires
Mais Alia s’est mise à faire des progrès très sensibles ces derniers mois. Elle même se qualifie "d’ancienne" dyslexique. Et elle ajoute d’emblée : "J’étais dyslexique, dysorthographique et dyscalculique." Autant dire que sa scolarité, quand elle était petite, tenait du cauchemar. Alia a fait "deux primaires, trois collèges … et pour l’instant un seul lycée".
Elle garde des souvenirs traumatisants de ses passages au tableau, quand le professeur de mathématiques par exemple en CE2, lui avait juste demandé de faire une addition : 4 plus 5 et qu’elle s’était littéralement effondrée, en pleurs, devant ses camarades.
Alia parle de son expérience de la lecture et explique qu'elle "n'était pas la plus gentille personne" avec ses camarades.
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Quand je lisais, c’était plus de la devinette qu’autre chose. Il y avait des mots que j’avais déjà lus, donc je voyais le début et je lisais le truc, mais ce n’était pas forcément le bon mot. Cela me prenait énormément de temps, c’était une torture. Je détestais ça !
Alia assimilait l’enseignement à du bourrage de crâne, car elle ne comprenait pas la logique de ce que les professeurs tentaient de lui enseigner. Elle était aussi très seule. "Comme les professeurs n’étaient pas gentils avec moi, les élèves n’étaient pas gentils non plus. Cela créait un effet boule de neige. Et même dans ma famille, cela n’a pas été simple. Et avec ma mère, il y a eu beaucoup de difficultés et comme mon père n’était pas là … c’était compliqué". Beaucoup de disputes donc, à l’école et à la maison, surtout au moment des devoirs.
Les ateliers de Béatrice
C’est la tante d’Alia qui détecte, la première, ses difficultés d’apprentissage. Stéphanie, la maman de la fillette, assure qu’elle n’avait rien vu à l’époque. Elle qui était fille d’instituteurs ne pouvait pas avoir une fille dyslexique. Néanmoins, Stéphanie prend alors rendez-vous chez une première orthophoniste "très gentille. C’est elle qui lui a appris à lire". La petite fille se met à dévorer des romans. Elle a huit ans, mais elle ne sait toujours pas déchiffrer de façon fluide et enchaîne les échecs scolaire. Elle rencontre alors Béatrice Sauvageot, une autre orthophoniste, qui est aussi neuropsychologue et qui a inventé une méthode particulièrement efficace pour ‘soigner’ la dyslexie et tous les troubles dys. Dans les stages de Béatrice, qui se font une fois par mois le mercredi et le samedi-dimanche, la jeune Alia s’épanouit. Elle rencontre enfin des personnes comme elle et a l’impression d’être comprise pour la première fois de sa vie. C’est aussi grâce à Béatrice que Stéphanie, la mère d’Alia, se rend compte qu’elle-même a toujours eu des difficultés de lecture et d’écriture. La dyslexie est souvent héréditaire mais même adulte, on peut encore faire d’immenses progrès. Alia revient sur l'expérience de sa maman qui est venue assister à ses stages :
"Ma mère a totalement compris que j'étais dyslexique"
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Avec l’aide de Béatrice Sauvageot, Alia pratique des exercices originaux. Dans un atelier qui ne ressemble en rien au cabinet d’une orthophoniste classique. Dès son arrivée, Alia a été confrontée à un monde surprenant et "totalement fou" qu’elle a "kiffé d’emblée" et surtout dans lequel elle s’est enfin sentie entourée avec bienveillance.
"C'était presque comme les alcooliques anonymes", plaisante Alia, "tout le monde se comprenait et partageait son histoire".
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Parmi les exercices les plus étonnants créés par Béatrice Sauvageot pour rééduquer les personnes dys, il y a celui où il faut tenir une bouteille d’un litre, à moitié remplie, sur sa tête. Et ça marche, assure Alia, qui raconte que ses camarades sont capables de tout faire, s’allonger, manger ou se doucher, sans faire tomber la bouteille. Garder cette charge sur la tête permet de se recentrer et de se concentrer. Tout comme la chaise à trois pieds, que Béatrice a inventée. Voici une petite liste des inventions, racontée par Alia :
"Il y avait enfin une logique à ce que je faisais."
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Alia apprécie particulièrement les "audiocaments", des sortes de "médicaments" qui prennent la forme de sons que Béatrice Sauvageot fait écouter au casque à ses 'patients'. Ces sons sont susceptibles de recréer les connexions neuronales affirme l’orthophoniste. D’ailleurs après les avoir écoutés, il paraît que les personnes dyslexiques se sentent comme droguées…
Ecoutez cet audiocament, de préférence au casque.
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Un cerveau en constante ébullition
Par ailleurs, la jeune fille a aussi appris à mieux se connaître et à comprendre qu’elle avait besoin de faire pratiquement "deux choses en même temps pour éviter la panique". Alia a ainsi élaboré une technique bien à elle pour faire désormais ses devoirs. Elle les rédige en classe, pendant un autre cours, tout en suivant l’enseignement du professeur. Béatrice Sauvageot explique pourquoi le cerveau des dyslexiques a besoin de ce genre de distraction pour pouvoir se concentrer :
Béatrice Sauvageot explique ce qu'il se passe dans le cerveau des "dys".
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Quand on voit une IRM fonctionnelle d’un dyslexique, tout s’allume quand il sont dans le silence, donc pour calmer ça ils mettent de la musique ou ils travaillent dans les trains.
Voilà pourquoi Alia fait toujours si possible deux choses en même temps. Et voilà aussi pourquoi elle apprécie désormais son travail au lycée. Elle peut choisir ses matières, son rythme de travail et rêver au métier qu’elle voudrait exercer. Passionnée par les voyages et les animaux, elle se rêve documentariste. Mais "l’humanitaire me tente aussi, ou la défense du climat", dit-elle en souriant. Alia sait aussi qu’elle doit encore se protéger. Car les personnes dys sont particulièrement sensibles et empathiques. Comme l’explique Béatrice Sauvageot, Alia possède des qualités très particulières qui peuvent encore lui jouer des tours, "Elle veut toujours aider les autres, mais elle risque de se brûler les ailes. Il faut la protéger".
"Alia est comme un diamant".
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En attendant, Stéphanie, la maman de l’adolescente se félicite de la métamorphose qu’elle observe chez sa fille. Le fait d’avoir découvert qu’elle même était dyslexique l’a aussi rapprochée d’Alia. Elle s’inquiète néanmoins encore un peu pour ses résultats scolaires, même si elle comprend bien que ce n’est sans doute pas l’essentiel. "Les notes ne sont pas encore au rendez-vous, mais c’est une adolescente épanouie et formidable qui est pleine de désir, se félicite Stéphanie, je sais que cela va venir, je ne sais pas quand, mais ça va venir car tous les indicateurs sont là."
Stéphanie résume son parcours et encourage sa jeune fille.
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