

En France, ils sont environ 200 000 enfants nés d'unions franco-allemandes pendant l'Occupation. Daniel Rouxel est l'un d'entre eux. Dans la France de l'après-guerre, il vit une enfance marquée de harcèlements en raison de son origine.
“Tout ça, ce sont des bouquins sur mon père”, dit Daniel Rouxel en pointant du doigt la pile de classeurs soigneusement rangée à côté de son bureau. On y trouve des documents, des articles de presse et des photos. “Mon père avec ma mère en 1941 ou 1942". Daniel Rouxel naît en 1943 d'une mère française et d'un père soldat allemand déployé en France.

"Alors mes parents se sont rencontrés près de Dinard, à Pleurtuit. Ma mère était tombée en panne avec son vélo. Mon père qui passait en voiture à ce moment s'est arrêté. Et comme il parlait bien le français, ils ont conversé. Puis, mon père a proposé à ma mère de venir travailler au camp allemand."
En revanche, ils ont vécu séparément. Des liaisons entre Allemands et Français étaient interdites, car le régime nazi considérait que les Français appartenaient à une sorte de "sous-race".
À la fin de la guerre, son père est blessé mortellement lors d'un bombardement. Sa mère quitte alors la Bretagne pour Paris. Dans la France de l’après-guerre, elle est considérée comme une traître : sortir avec l’Allemand, l’ennemi héréditaire, responsable de nombreuses atrocités pendant l’Occupation était une honte. Daniel Rouxel est d’abord placé dans une famille d’accueil, puis, à partir de l’âge de quatre ans, il grandit chez sa grand-mère, dans un petit village dans les Côtes-d’Armor. Une enfance toute autre qu'heureuse.
Une enfance douloureuse
"Ma grand-mère m’interdisait de dire 'tu', il fallait lui dire 'vous'. Elle m’enfermait presque chaque jour dans un poulailler. C’était une punition, pour que les gens voient que l’Allemand était puni”, se souvient-il. "Pour elle, je n'étais qu'un 'fils de boche'".
À l’école, cela ne se passe pas mieux. Enfant, il est blond aux yeux bleus. À l’époque, cela suffit pour attiser la haine de ses camarades de classe.
"Tout le monde m’appelait le boche. C'était très courant, pour eux, c'était naturel. Cela me faisait pleurer".
Daniel Rouxel : "A l'école, on m'ignorait. On ne parlait pas avec 'le boche'"
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À deux reprises, il tente de mettre un terme à sa vie. Mais à 16 ans, il parvient enfin à quitter le foyer de sa grand-mère, devient dessinateur industriel et s’installe au Mans. Pendant plus de trente-cinq ans, il garde le silence. Comme beaucoup de franco-allemands qui partagent son histoire, ce n’est qu’au milieu des années 90 qu’il se met à témoigner. Dans une lettre au journaliste Jean-Paul Picaper et à l'historien Ludwig Norz, il écrit :
“Ce qui est terrible chez un enfant, ce n’est pas tellement de savoir qu’il n’est pas aimé et pourtant, c'est important. Mais ce n’est pas pouvoir aimer, alors qu’il en a envie et besoin. Parce que ce noble sentiment est rejeté des autres. Ça fait très mal le besoin d’aimer, ça fait horriblement souffrir. C’est un produit naturel, vital et d’être humain.”
"Je me sens Franco-Allemand !"
Aujourd’hui, il revendique son histoire. Il a accroché son certificat de naturalisation allemande au-dessus de son lit. "Einbürgerungsurkunde - Bundesrepublik Deutschland" peut-on lire sur fond vert. Il est devenu officiellement allemand le 23 juillet 2009. "J'étais fier et heureux. Cela faisait du bien", admet-il. Et si on lui demande s'il se sent plutôt français ou allemand, il répond : "Franco-allemand !". Il est par ailleurs l’un des fondateurs de l’ association Cœurs sans Frontières. Grâce à cette association, une centaine d’enfants franco-allemands ont pu retrouver leurs familles outre-Rhin.
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Pour aller plus loin :
- *Enfants maudits , Jean-Paul Picaper et Ludwig Norz. 2004, Éditions des Syrtes.
- Enfants de la guerre dans l'ouest de la France, Isabelle Le Boulanger, 2019, Coop Breizh.
L'équipe
- Niklas MönchJournaliste