Stéphane Ravacley : la faim d'éviter l'expulsion des jeunes migrants

Stéphane Ravacley, bourru auto-proclamé, bourreau de travail, défenseur des migrants
Stéphane Ravacley, bourru auto-proclamé, bourreau de travail, défenseur des migrants ©Radio France - Diane Berger
Stéphane Ravacley, bourru auto-proclamé, bourreau de travail, défenseur des migrants ©Radio France - Diane Berger
Stéphane Ravacley, bourru auto-proclamé, bourreau de travail, défenseur des migrants ©Radio France - Diane Berger
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C'était un anonyme jusque-là : en janvier, Stéphane Ravacley, boulanger de Besançon, s'est retrouvé sous les caméras des journalistes, car il s'est lancé dans une grève de la faim pour éviter l'expulsion d'un de ses employés. Deux mois après sa victoire, la cause lui tient toujours à cœur.

Stéphane Ravacley a dédié l'essentiel de sa vie à sa boulangerie, près de la citadelle de Besançon. Ce métier l'anime depuis vingt-quatre années. Il aurait pu continuer ainsi sa vie encore longtemps, sans coups d'éclat. Mais il y a un an et demi, il croise la route de Laye Fodé Traoré, un jeune Guinéen alors âgé de 16 ans et quelques. Il embauche le garçon comme apprenti. En janvier dernier, le jeune homme, maintenant âgé de 18 ans, est menacé d'expulsion. Pour le sauver, le boulanger entame une grève de la faim. Les télévisions, les radios, les journaux, des médias locaux jusqu'à des chaînes étrangères, le contactent pour raconter son combat. Au bout de dix jours, victoire : Laye est régularisé. Depuis, Stéphane Ravacley se retrouve à la tête d'une cause qu'il n'aurait jamais cru embrasser un jour.

C'est un homme d'une cinquantaine d'années qui nous accueille dans sa boulangerie : les clients sont nombreux, c'est bientôt l'heure du déjeuner, bientôt la fin donc de la première partie de la journée de travail de Stéphane Ravacley. Son rythme : début du boulot à 3 heures, une pause l'après-midi, retour à la boulangerie en début de soirée pour préparer la journée du lendemain, quelques heures de sommeil et on recommence. Laye, son apprenti, est déjà parti se reposer quand on arrive.

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Auto-proclamé bourru, accroc à son métier

Stéphane Ravacley naît dans une famille d'agriculteurs, dans la campagne de Haute-Saône, un milieu pas spécialement militant. La ferme familiale brûle en 1973, quelques mois plus tard, sa mère décède dans un accident du travail : Stéphane Ravacley et ses sœurs sont élevés par leur père. Un homme "droit, bourru, un paysan dans l'âme, qui aimait les chevaux, qui aime la terre". Et qui lui a transmis justement des valeurs fondamentales. L'amour du travail, d'abord : "Mon travail de boulangerie représente 99% de ma vie, le pourcent de vie privée c'est mon sommeil, je ne vis vraiment que pour mon travail, je l'ai choisi", explique Stéphane Ravacley.

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L'amour du cheval ensuite. "J'ai baigné dans le milieu du cheval comtois, parce que mon père a eu jusqu'à 12 poulinières dans notre écurie. C'est vraiment mon animal préféré", explique Stéphane Ravacley en présentant l’œuvre qui trône dans la pièce principale de son magasin. Une statue de cheval, grandeur nature, en pièces de métal recyclé : des assiettes, des conserves, des boîtes de fer concassées, façonnées pour leur redonner une seconde vie. 

Les valeurs d'un cheval comtois, c'est la robustesse, le labeur, il a toujours tiré la charrue. Ma vie c'est le labeur d'un métier, j'aurais pu être un cheval comtois.

Enfin, dernière valeur, cruciale pour Stéphane Ravacley : "être bourru". Le boulanger reçoit en t-shirt, sans chichis, dans son petit bureau austère, derrière l'espace boutique pimpant de son établissement. Il parle franchement, il sourit peu. C'est un peu un ours, Stéphane Ravacley. Bourru, mais pas sans cœur : parfois, au cours de la discussion, quand il repense à ce qu'il a traversé avec Laye, il doit faire une pause, le temps d'essuyer une larme et de reprendre le contrôle de ses émotions.  

"Aucune opinion" sur le sort des migrants jusque-là

C'est un concours de circonstances qui lui a permis de rencontrer Laye. Il y a deux ans, sa boulangerie, La Huche à Pain, fait l'objet d'un article de L'Est Républicain, une demi-page dans laquelle Stéphane Ravacley raconte comment, alors que son commerce fonctionne bien, il n'arrive pas à embaucher de nouveau salarié : impossible de trouver à Besançon un jeune motivé par le métier de boulanger. Dans la foulée, des associations le contactent : et s'il prenait en apprentissage un adolescent migrant, un de ces nombreux mineurs isolés qui ont faim de travailler ?  

A ce moment-là, Stéphane Ravacley ne s'intéresse pas spécialement au sort de ces jeunes, il le reconnaît : 

J'écoute la radio dix-huit heures par jour, donc j'entends qu'il y a des bateaux qui n'arrivent pas jusqu'aux plages, je sais qu'il y a des noyés, et je n'avais pas vraiment d'idée là-dessus. Franchement, je n'avais aucune opinion dessus jusqu'à ce que Laye arrive.

Le courant est très vite passé entre l'ours bourru de la boulangerie et ce jeune Guinéen, grand mince très discret qui a quitté son pays après la mort de ses parents. Il est arrivé en France à l'âge de 16 ans, sans compétences professionnelles particulières mais avec une sérieuse envie de s'en sortir. Quelques mois plus tard, Stéphane Ravacley en fait son apprenti. Et à ses côtés, le boulanger se rend compte qu'il y a des véritables personnes derrière les images de migrants qu'il aperçoit parfois à la télévision. Lui qui, selon ses mots, "ne s'est jamais battu pour quelqu'un", s'attache à son protégé, il lui apprend le métier et Laye devient très vite indispensable au magasin.

"Il ne prend la place de personne"

Pendant un an et demi, l'apprentissage se déroule sans problème, jusqu'au mois de novembre 2020 : Laye a 18 ans, il ne bénéficie donc plus des mêmes protections que lorsqu'il était un mineur isolé. Le garçon reçoit une obligation de quitter le territoire français (OQTF) d'ici le 25 décembre. 

Impensable pour Stéphane Ravacley, à la fois parce qu'il a besoin de son employé pour faire tourner la boutique, mais aussi parce que, pour cet homme qui place la valeur travail par dessus tout, il est impensable de mettre dehors un jeune prêt à passer des heures, aux aurores, à pétrir, façonner et cuire du pain sans jamais causer de problème. 

Le boulanger supplie la préfecture de faire une exception pour ce salarié irréprochable. Il obtient simplement un délai de quelques semaines : le 2 janvier, Laye doit quitter son poste, il est censé partir de France quelques jours plus tard.

Et là, Stéphane Ravacley, ce boulanger austère qui a dédié toute sa vie à son travail, qui n'a jamais spécialement milité, qui n'avait jamais imaginé s'engager pour une cause particulière, se mobilise. Après une pétition qui rencontre un succès modéré, le cinquantenaire se convainc d'aller plus loin : il se lance dans une grève de la faim.  

Je me rappelais en fait, dans les années 80, quand j'avais 10-15 ans, qu'on faisait beaucoup de grèves de la faim pour les intellectuels emprisonnés, et cætera. Et je me suis dit : voilà, peut-être qu'il faut faire ça. Et moi, je suis quelqu'un d'imposant, j'aime bien manger, j'étais vraiment pas sûr d'y arriver. Mais en fait, je n'avais pas le choix : je suis un non violent, donc je ne me voyais m'attaquer à quoi que ce soit. Je me suis dit : si tu t'attaques à toi-même, peut-être qu'on te regardera autrement et qu'on écoutera ton discours. 

Et ça marche : l'affaire attire l'attention de nombreux médias, le boulanger multiplie les interviews pour demander que son employé, ce jeune qu'il a pris sous son aile, formé, qu'il compte embaucher après l'apprentissage, reste en France car "il ne prend la place de personne, puisque je n'arrivais pas à embaucher". Stéphane Ravacley perd plusieurs kilos, il fait un malaise au huitième jour. Mais ça paie : au bout de dix jours de grève de la faim, la préfecture revient sur sa position, Laye est régularisé.  

La Huche à Pain, une boulangerie qui était jusque-là sans histoire à Besançon.
La Huche à Pain, une boulangerie qui était jusque-là sans histoire à Besançon.
© Radio France - Diane Berger

Deux mois après, la boulangerie fonctionne normalement, les vendeuses enchaînent les clients, nombreux à faire la file devant le magasin à midi. "Monsieur Ravacley, c'est sûr que j'en parlerai à mes enfants parce que c'est le meilleur patron que l'on puisse imaginer", souligne Anne-Sophie, l'une des employées, entre une baguette aux céréales et une pâtisserie.  

Dans l'affaire, le boulanger estime avoir perdu des clients : "Ils pensaient que j'étais de droite parce que je suis un commerçant indépendant, explique-t-il, alors que ce n'est pas mon sens politique depuis le départ. Mais d'autres clients sont venus."

"Quand je commence quelque chose, j'aime le finir"

L'apprenti a repris son travail. Il essaie de se faire discret et de reprendre une vie normale, loin des sollicitations des journalistes. "On le reconnaît parfois dans la rue, parce qu'en plus il est beau garçon, ça le gêne un peu", souligne dans un sourire son patron. 

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Stéphane Ravacley, lui aussi, aurait pu choisir de revenir à son train-train d'avant, loin du militantisme et de la presse. Mais il le répète : il dédie sa vie à son travail. Et aujourd'hui son travail c'est aussi la cause des jeunes migrants.

Quand je commence quelque chose, j'aime le finir. Je me suis rendu compte qu'il y avait des milliers de gamins comme Laye en France. Et ça fait partie de mon job, maintenant, d'être l'avant-garde d'un combat qu'on traîne depuis des mois : tant qu'il y a des gamins qui sont en centre de rétention alors qu'ils avaient un travail et des familles qui les accueillaient, le combat obligatoirement doit être défendu.

Il aurait pu être un cheval comtois, disait-il, qui tire la charrue pendant des heures sans fléchir. Aujourd'hui, sa charrue, ce sont ces adolescents qui cherchent en France une vie meilleure, une formation et un travail. Et sa méthode fait des émules : en février, une boulangère de l'Ain a lancé sa propre grève de la faim pour demander la régularisation de son apprenti.  

"Les valeurs d'un cheval comtois, c'est la robustesse, le labeur, il a toujours tiré la charrue."
"Les valeurs d'un cheval comtois, c'est la robustesse, le labeur, il a toujours tiré la charrue."
© Radio France - Diane Berger

Alors Stéphane Ravacley a lancé une plate-forme en ligne, Patrons solidaires, pour aider les artisans et les petites entreprises qui se retrouvent dans la même situation que lui avec Laye. Le prochain combat de ce boulanger : faire bouger la législation, pour que les jeunes migrants en formation ne puissent plus être menacés d'expulsion dès qu'ils deviennent majeurs.  

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