Stéphanie Braquehais, femme abstème

L'autrice et ancienne journaliste Stéphanie Braquehais raconte comment elle a arrêté de boire de l'alcool dans son livre "Jour Zéro" (Ed. L'Iconoclaste)
L'autrice et ancienne journaliste Stéphanie Braquehais raconte comment elle a arrêté de boire de l'alcool dans son livre "Jour Zéro" (Ed. L'Iconoclaste) ©Radio France - Bénédicte Robin
L'autrice et ancienne journaliste Stéphanie Braquehais raconte comment elle a arrêté de boire de l'alcool dans son livre "Jour Zéro" (Ed. L'Iconoclaste) ©Radio France - Bénédicte Robin
L'autrice et ancienne journaliste Stéphanie Braquehais raconte comment elle a arrêté de boire de l'alcool dans son livre "Jour Zéro" (Ed. L'Iconoclaste) ©Radio France - Bénédicte Robin
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Elle n'était pas "alcoolique", pas "malade", mais un jour elle a décidé de ne plus boire d'alcool. C'est le "Jour zéro" d'une nouvelle vie que Stéphanie Braquehais raconte dans un livre sous forme de journal de bord. Rencontre avec une femme sur le chemin de la sobriété et de la liberté.

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"En fait, elle n'a plus 20 ans". Ce commentaire d'un lecteur, Stéphanie Braquehais le cite dans un éclat de rire. En effet, elle n'a plus 20 ans, elle en a même 41 (et demi) et depuis le 31 août 2018 elle ne boit plus une seule goutte d'alcool. Ce 31 août 2018 c'est le " Jour zéro" (Ed. L'Iconoclaste).

"Zéro est une bonne description de moi-même : "Qui correspond à une valeur nulle, un ensemble vide." C'est décidé, à partir d'aujourd'hui, je ne bois plus d'alcool" écrit-elle au début de ce livre qui prend la forme d'un journal de bord, presque d'un journal intime dans lequel elle interroge son rapport à l'alcool, décrypte les phénomènes de l'addiction, se remémore des soirées d'excès, les met en perspective avec la manière dont la question de l'alcool est perçue et traitée dans la société. 

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La question est d'actualité en ce mois de janvier - devenu depuis quelques années à force de médiatisation et de mots clefs sur les réseaux sociaux " le dry january", "janvier sobre" ou " LeDéfiDeJanvier", sans alcool pour compenser les "excès" supposés des fêtes. Ce n'est évidemment pas un hasard si son livre est sorti le 7 janvier. L'ancienne journaliste, correspondante notamment pour RFI, a été l'invitée toute trouvée des plateaux de télévision et des studios de radio.

La Question du jour
8 min

Nous la rencontrons dans les locaux parisiens de l'agence de communication qui organise la promotion de son livre. Armée de son sac à dos, vêtue de son blouson en cuir qu'elle ne quittera pas, elle termine sa tournée. Le soir même, elle sera de retour à Nairobi (Kenya), sa "ville des ivresses" où elle vit depuis quinze ans. Cette ville, loin de Paris, sa ville natale. Un éloignement salutaire, dit-elle, pour écrire ce livre. 

Stéphanie Braquehais n'est que de passage à Paris et repart le soir-même chez elle à Nairobi, au Kenya.
Stéphanie Braquehais n'est que de passage à Paris et repart le soir-même chez elle à Nairobi, au Kenya.
© Radio France - Bénédicte Robin

"Je ne sais pas si j'aurais pu écrire ce livre en France"

"Je ne sais pas si j'aurais pu écrire ce livre en France" s'interroge-t-elle. "C'est peut-être un jugement trop hâtif mais je pense qu'il y a des injonctions silencieuses. C'est très difficile de parler d'alcool en France sans qu'on vous mette dans des catégories que je trouve beaucoup trop binaires. Par exemple : alcoolique. Moi je ne suis pas malade, je n'ai pas eu besoin de médecin ni de médicaments pour "me soigner". J'ai pris une décision toute seule, en lisant et en écrivant". 

Et en cherchant les mots. Car tout cet ouvrage et ce travail d'introspection fait d'anecdotes de soirées peu glorieuses, de vacances, de week-ends, d'apéritifs alcoolisés est d'abord une recherche de soi et des mots pour se décrire. 

Non, elle n'est pas alcoolique. Elle se reconnaît "buveuse", "bonne fêtarde" depuis l'adolescence avec ses copains, mais alcoolique non. D'ailleurs, les réunions des alcooliques anonymes la mettent mal à l'aise. Les mots manquent. "Je me suis interdit pendant des années de me poser des questions sur ma consommation d'alcool parce que j'étais terrifiée par les mots qui m'attendaient derrière. J'ai écrit 50 000 mots pour en trouver un et je ne l'ai pas trouvé, et c'est tant mieux". 

Abstème

L'opposition alcoolique/pas alcoolique est trop binaire, caricaturale. Elle rate un paquet de nuances dans la palette des gris et m'a empêchée pendant longtemps, tout comme un grand nombre de gens, de m'interroger sur ma relation à l'alcool. La logique était la suivante : si je n'étais pas un gros déchet intoxiqué c'est que je ne devais pas avoir de problème avec ma consommation. (p 40). 

Et pourtant, il existe bien un mot soufflé par celui qu'elle décrit comme son âme sœur, son ange gardien et qu'elle nomme "L'Ange" dans son livre. Ce mot c'est : abstème. Abstème signifie qui ne boit pas d'alcool. Stéphanie Braquehais le fait à moitié sien. "Le mot me plaît parce que cela vient de lui" sourit-elle et parce qu'il n'y a pas de jugement. Contrairement au mot "alcoolique" qui traîne "des décennies de jugements et d'images que je n'ai pas choisis, qu'y s'associent. Je refuse que ces images s'associent à moi". 

A elle, la quadra souriante, discrète sur sa famille, maman d'une petite fille de 6 ans, heureuse dans son couple et qui s'étonne elle-même d'avoir des envies de course à pied un 1er janvier sans "GDB", la fameuse gueule de bois qu'elle a décidé de ne plus subir. 

Sous forme de journal de bord, entre anecdotes et introspection, Stéphanie Braquehais analyse son rapport à l'alcool et pousse le lecteur à le faire avec elle
Sous forme de journal de bord, entre anecdotes et introspection, Stéphanie Braquehais analyse son rapport à l'alcool et pousse le lecteur à le faire avec elle
© Radio France - Bénédicte Robin

Aucun militantisme dans ses mots

Oui, arrêter l'alcool l'a changée. Ou plutôt l'a recentrée. "Il y a des études qui le montrent. Au bout de plusieurs années de consommation d'alcool, la personnalité change. On est plus anxieux, on est plus dépressif" analyse-t-elle. Désormais, elle se sent plus "ancrée, moins égoïste", plus à l'écoute d'elle-même et donc des autres. Les soirées se terminent peut-être moins tard qu'avant mais elle s'y sent mieux. "Je perds moins mon temps" conclut-elle. 

N'est-elle pas devenue "chiante" ? Hantise qu'elle écrit, qu'elle décrit dans certains passages. Cette crainte de devenir aux yeux des autres, et peut-être pour elle-même une "harpie hygiéniste". La question provoque un sourire et même un rire. Franchement, sur la base de ce que m'ont dit plein d'amis : NON !

Et pourtant, l'appréhension qu'elle a à dire à ses amis qu'elle ne boit plus, la réaction entre déception, incompréhension et choc que certains lui renvoient dit bien tout ce que la société a de paradoxal dans son rapport à l'alcool.  

"- T'es enceinte ? T'es malade ? - Non... je... ne bois plus. Tête de Théo. Minute de silence, comme pour les morts. Par cette annonce, je viens de mourir à ses yeux, comme Pierre était mort lorsqu'il m'avait annoncé être devenu abstinent. [...] - Je ne bois plus, mais je suis toujours un sacré boute-en-train... hein. [...] Chez les uns, ma décision déclenche une déception, chez les autres de l'approbation. L'abstinence ne laisse personne indifférent. Comme si chacun se sentait concerné. Comme si je les forçais à réfléchir à leur consommation" (p 238-239). 

Il n'y a aucun militantisme dans ses mots, elle n'essaie pas de convaincre, elle chemine. Et d'ailleurs, sa décision n'est pas définitive, tient-elle à souligner. "Tous ces trucs qu'on dit "pour toujours", cela me pétrifie. Je ne veux pas dire, je ne boirai plus jamais, par principe. Je n'ai pas envie de boire un verre, c'est sûr. Mais pour le moment, pour l'instant" assume-t-elle.  

Ce livre, qu'elle a hésité à publier sous couvert d'anonymat, est un peu le témoignage qu'elle aurait aimé lire. Il est aussi une manière de passer à autre chose. 

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Elle a abandonné son métier de journaliste pour se consacrer à l'écriture. Elle a d'ailleurs achevé son deuxième roman. "Ce projet de récit de soi est arrivé un peu au milieu et je n'ai pas pu y échapper". Maintenant qu'il est terminé, après avoir plongé au cœur d'elle-même, elle va donc pouvoir reprendre la fiction.

"Je vais m'échapper de moi-même, partir très loin de moi" se réjouit-elle. Une autre forme d'ivresse.