Comment les sociétés, les religions, les gouvernements se sont-ils efforcés de réguler une passion collective, d'en maîtriser les effets pervers pour l'ordre public et souvent d'y quérir de bons avantages politiques ou financiers ?
- Elisabeth Belmas Professeur d'histoire moderne
Les chiffres sont sidérants. En 2018, en France, sur Internet, les paris sportifs ont augmenté de 56% par rapport à 2017, avec 12% de plus de participants. Le poker en ligne a vu croître de 15% le niveau de l'argent qu'il a avalé. Toutes dépenses confondues, plus de 14 milliards d'euros ont été lancés dans ce gouffre pour répondre à "l'offre ludique", comme disent les spécialistes.
Quant aux bons vieux jeux de société, ils ne déclinent pas pour autant, bien au contraire. 112 millions de boîtes qui permettent de les pratiquer en famille ont été vendues en 2017. Et le reste de la planète n'est pas en retard. C'est ainsi que deux milliards et demi d'humains, tout autour du monde, s'adonneraient aux jeux-vidéos.
Voilà bien un phénomène qui constitue un stimulant impérieux pour une émission consacrée à ce thème. Il va s'agir de s'attacher aux multiples manifestations d'un phénomène qui remonte, comme l'attestent les fouilles et les textes anciens, aux origines mêmes de l'humanité.
Il va s'agir de considérer comment les sociétés, les religions, les gouvernements se sont efforcés de réguler une passion collective, qui semble bien immarcescible, d'en maîtriser les effets pervers pour l'ordre public et souvent d'y quérir de bons avantages politiques ou financiers. Tout en ne laissant pas de s'inquiéter, régulièrement, des dérives individuelles, dans l'ordre des méfaits comme de la dépendance qui emprisonne les joueurs compulsifs. Ne nous dit-on pas qu'actuellement 250 000 de nos compatriotes souffriraient de cette grave assuétude aux jeux d'argent ?
J'ai convié à ce micro Élisabeth Belmas, professeur émérite à l'Université de Paris XIII, parce qu'elle a publié naguère un bel ouvrage consacré au "Jeu dans la France moderne, du XVIe au XVIIIe siècle" et parce que sa curiosité, comme il convient en Histoire, ne manque pas de s'élargir au-delà et qu'elle vient s'étendre jusqu'aux rives agitées de notre monde contemporain.
Archives sonores
- Chanson "Poker" de Charles Aznavour, 1951.
- Extrait de Vingt-quatre heures de la vie d'une femme de Stefan Zweig (1927), lu par Nathalie Nerval dans "Les samedis de France culture", le 13 décembre 1975.
- Extrait des Mémoires de Giacomo Casanova (écrits dans les années 1790 et publiés à titre posthume autour de 1825), lu par Samson Fainsilber, dans "Heure de culture française", le 28 juillet 1959.
- Extrait des Mémoires d'un tricheur de Sacha Guitry (1935), lu par Pierre Olivier, dans "Les samedis de France culture", le 13 décembre 1975.
- Reportage télévisé de Nathalie Darrigrand sur une joueuse compulsive, diffusé sur FR3 le 27 juillet 1993.
- Lettre de Dostoïevski à son frère, lue par Pierre Olivier, dans "Les samedis de France culture", le 13 décembre 1975.
Bibliographie
- Élisabeth Belmas, Jouer autrefois : essai sur le jeu dans la France moderne (XVI-XVIIIe siècle), Champ-Vallon, 2006.
- Élisabeth Belmas et Joël Coste, Les soldats du Roi à l'Hôtel des Invalides. Etudes d'épidémiologie historique (1670-1691), CNRS éditions, 2018.
- Sylvie Craipeau, La société en jeu(x). Le laboratoire social des jeux en ligne, Paris, PUF, 2011.
- Vincent Berry, L'expérience virtuelle. Jouer, vivre, apprendre dans un jeu vidéo, Rennes, PUR, 2012
- "Les jeux d'argent", n°139 de la revue Pouvoirs, novembre 2011.
- Jean-Pierre Martignoni-Hutin, Faites vos jeux : essai sociologique sur le joueur et l'attitude ludique, L'Harmattan, 1993.
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Réalisation