

Confinée dans sa maison de campagne en Bourgogne, la philosophe Corine Pelluchon, investie depuis vingt ans dans la défense de la cause animale et environnementale, questionne notre capacité à "réparer le monde" et réfléchit aux meilleurs moyens d’y parvenir.
Qu’est-ce que cette crise sanitaire nous dit du monde dans lequel nous vivons ? Poser la question à Corine Pelluchon, professeur de philosophie à l’université Gustave Eiffel et membre du conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme de Nicolas Hulot, permet au passage d’interroger cette formule que nous employons tous depuis le début de la pandémie : "crise sanitaire".
Ne serait-il pas plus juste de parler de crise écologique et de ses graves conséquences au niveau sanitaire ?
Ce n’est pas pour tendre la perche à celle qui alerte depuis vingt ans sur la nécessité de modifier nos comportements à l’égard de la nature, des animaux et des personnes vulnérables, mais pour trouver la juste définition à ce qui nous arrive :
C’est une crise sanitaire, répond Corine Pelluchon, ce vendredi 10 avril. Mais une crise sanitaire qui ressemble à une crise environnementale par certains aspects. Elle nous interroge sur l’aberration de notre interaction avec les autres vivants.
Le plaisir de consommer autrement
Nous avions rendez-vous début avril avec Corine Pelluchon pour un Réveil Culturel consacré à la sortie de son dernier ouvrage Réparons le Monde, compilation de ses articles parus ces dernières années (sortie du livre chez Rivages-Payot décalée à fin mai). Mais le confinement a obligé la philosophe à prolonger son séjour dans sa maison de campagne située dans un village nommé Cravant-Deux Rivières, à environ 25 kilomètres d’Auxerre.
Une fois que l’écureuil qui a l’habitude de venir lui rendre tous les matins s’en va poursuivre sa paisible journée dans les jardins des bords de l’Yonne, l’essayiste reprend l’écriture de son essai en cours, toujours en relation avec la nécessaire transition écologique : "Quels traits moraux et quel processus de transformation de soi peuvent-ils permettre aux individus d'être les acteurs de la transition écologique et d'avoir du plaisir à consommer autrement ?" Pour Corine Pelluchon, la pire des choses à faire aujourd’hui est de tenir un discours "culpabilisateur" - "comme on peut l’entendre de plus en plus dans les médias", regrette-t-elle.
Dans son confinement au milieu de la nature, l’essayiste, auteure notamment de Eléments pour une éthique de la vulnérabilité, les hommes, les animaux, la nature et Manifeste animaliste. Politiser la cause animale se tient au courant de l’actualité de la pandémie en consultant la presse française et étrangère et en écoutant la radio. Elle note une défiance vis à vis des canaux traditionnels du savoir et à l’égard des scientifiques : "Cette défiance est problématique, on est dans l’air du complotisme, de la désinformation. Je me méfie des informations immédiates, diffusées à la vitesse de la lumière".

"La transition écologique nécessite une méthode radicale et modérée en même temps"
Choisir les mots. Plutôt que d’"alerter", Corine Pelluchon cherche à convaincre et à informer. Elle n’emploiera jamais l’expression "un bien pour un mal" qu’on peut entendre ici et là.
Je ne le dirai pas car nous vivons une situation dramatique, je préfère parler d’occasion… peut-être. En tout cas j’aimerais que l’on mette en oeuvre un certain nombre de décisions qui dessinent un cercle vertueux et qui nous mettent sur la trajectoire de la transition vers un mode de développement qui prend en compte les limites planétaires, notre vulnérabilité et notre interdépendance à l’égard des autres mais aussi des éco-systèmes, et arriver à un monde qui organise les différentes activités en fonction de leurs sens.
Corine Pelluchon développe dans l’entretien téléphonique les quatre axes de la transition écologique telle qu’elle pourrait être appliquée dès que possible, et progressivement.
Sous le choc de la pandémie et de sa virulence, nombreux sont les observateurs qui annoncent la fin d’un monde et la naissance d’un autre, plus chaotique ou plus vertueux c’est selon, appellent dans tous les cas à des ruptures immédiates et des changements de nos habitudes. "Les changements radicaux sont une vue de l’esprit, on ne peut pas faire table rase du passé et ce n’est d’ailleurs pas souhaitable, objecte la confinée de Cravant-Deux Rivières. Si la transition écologique nécessite des changements drastiques dans nos modes de productions, dans les échanges, dans les modes de consommation, elle ne doit pas se faire d’une manière tyrannique sans tenir compte des contextes géographiques et sociaux et des différentes traditions, cultures et histoire des peuples."
Corine Pelluchon préfère parler de "prise de conscience", seule perspective pour nous aider à trouver le courage nécessaire aux efforts quotidiens qui contribuent à la "réparation" du monde. Des petits pas, des avancées constantes. "Réparer le monde n’est pas rêver au grand soir, mais préparer l’avenir" écrit la philosophe : "Nos territoires sont des souverainetés partagées, il faut trouver le moyen de cohabiter un peu mieux avec les autres vivants", conclut-elle_. _
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