Pedro Winter : "Prenons le temps, rêvons, imaginons"

Pedro Winter, patron du label Ed Banger
Pedro Winter, patron du label Ed Banger - Kevin Millet
Pedro Winter, patron du label Ed Banger - Kevin Millet
Pedro Winter, patron du label Ed Banger - Kevin Millet
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Le producteur et DJ signe un mix inédit spécial confinement : de la musique électronique sur le texte du Petit Prince, vieux de près de 80 ans. L'idée peut surprendre. Mais la greffe prend. Et invite notre esprit à se faire la belle.

Confiné dans son appartement du 9e arrondissement de Paris, Pedro Winter n’a pas de platines, mais il a des idées. Comme par exemple mixer de l'électro sur les mots d’Antoine de Saint-Exupéry. Histoire pour le producteur, patron du label Ed Banger et DJ hyperactif, alias Busy P, de profiter de ces longues semaines d’enfermement pour expérimenter. Histoire aussi de nous divertir. Et ça marche.

Pedro Winter : "On est dans un film"

9 min

Comme point de départ, il y a un un enfant “aux cheveux d’or"  fraîchement débarqué de l’astéroïde B612 et un aviateur perdu dans le désert. Le Petit Prince, ce conte poétique et philosophique publié en 1943, devenu phénomène éditorial, seul livre qu'il garde depuis l’enfance : “J'ai une édition datée de 1975, année de ma naissance et qui est aujourd'hui dans la bibliothèque de ma petite fille”. En 1954, l’acteur Gérard Philippe en enregistre une version écourtée. Elle commence par “J'ai vécu seul”. Quoi de mieux pour une BO de confinement ? 

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J'ai la chance d'être entouré, en famille”  reconnaît Pedro, "mais je pense beaucoup à mes copains et même aux gens que je ne connais pas qui sont tout seul, c'est une période qui ne doit pas être facile à traverser. Et je trouve qu'il y a un écho avec la solitude de cet aviateur en plein milieu du Sahara qui rencontre un personnage imaginaire comme le Petit Prince. (…) Je n’ai pas du tout chercher à intellectualiser le propos, c'est juste que j'ai senti effectivement qu'il y avait une corrélation”. 

Alors, parce que c’est quelque chose qu’il a “au fond de lui”, le DJ tente le cocktail* : coller sur le vieil enregistrement du Aphex Twin, DJ Mehdi, Siriusmo, Skream ou Canblaster, en tout une quinzaine de titres. “J'ai essayé, comme ça, un jour sur mon ordinateur, je me suis rendu compte que ça collait super bien et j'y ai pris goût. J'ai passé quelques jours de plus à affiner le choix des morceaux, pour faire en sorte que les moments musicaux collent avec le récit, le suspense, le questionnement ou la tristesse du Petit Prince. Ça s'est fait de façon très spontanée et très naturelle”. 

L'édition du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry que Pedro Winter garde depuis 1975, année de sa naissance
L'édition du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry que Pedro Winter garde depuis 1975, année de sa naissance
- Pedro Winter

Le résultat, c’est un peu plus d’une demi heure de douce mélancolie sur la voix charmante d’un petit garçon et sur celle, profonde et unique, du narrateur Gérard Philippe : “Ce sont les voix des années 50, des voix qui ne sont pas aussi chaudes que celles d’aujourd'hui à la radio avec tous les compresseurs, etc. Il y a quelque chose de beaucoup plus pur, de moins poli et ça rajoute quelque chose d'énorme au mix”.

Comment expliquer que le collage entre les deux époques fonctionne si bien ? “Ç_a vient sûrement du fait que la musique électronique est super cinématographique_”. Et c’est vrai qu’on se fait des films en écoutant le mix. En le regardant aussi. 

Car Pedro Winter a pensé à tout. Pour accompagner le son, il a fait appel au crayon de Stéphane Manel. Carte blanche : “L'illustration a été faite exactement de la même manière spontanée, d'une réaction à ce qu'il entendait”. Manel ne colle ni au texte ni aux aquarelles de Saint-Exupéry, connues de tous. Ici, pas de mouton ni de fleur ou de renard. Sur la feuille, il “crache” une série de personnages - Actarus, Chewbacca, Woodstock l’oiseau jaune de Snoopy, ou un Lego - que Pedro s’est amusé à animer. Sur l’écran de notre ordinateur, c’est donc une page blanche qui se remplit, petit à petit, au gré de la fantaisie de l’illustrateur : “L'idée de ce mix est un peu dire aux gens, “asseyez-vous, prenons le temps, rêvons, imaginons”. C'est vraiment un appel à la poésie et au questionnement, sans rentrer dans la philosophie de comptoir”

Les personnages sortis de l'imagination de Stéphane Manel et qui accompagnent le mix de Pedro Winter
Les personnages sortis de l'imagination de Stéphane Manel et qui accompagnent le mix de Pedro Winter
- Stéphane Manel

Surtout pas d’intellectualisation, pas de recherche de sens. Pedro Winter répond, fidèle à lui-même, à son envie, son enthousiasme et sa curiosité. Quitte à renouer sans complexe avec la naïveté de l’adolescence, voire de l’enfance. Seul. 

En face de lui, pas de foule impatiente : “Le rapport au public, effectivement, est complètement bouleversé” observe le DJ, rompu aux platines devant des salles combles, “dans un club, une boîte de nuit ou en festival, je vais jouer une musique plutôt joyeuse et entraînante (…) Là, je n’ai pas besoin de séduire ou de conquérir un public qui est en attente, qui est venu pour danser ou faire la fête (…) Et j'ai proposé un mix qui est à l'inverse de ce que je peux faire d’habitude”

Stimuler suffisamment les auditeurs-spectateurs pour qu’ils restent attentifs pendant les 33 minutes et 23 secondes de l’exercice, voilà la seule pression qu’il subit, “puisqu’on sait qu'aujourd'hui, les gens aiment swiper et regardent des stories de 15 secondes”. 

On a testé. On n’a pas décroché. Et on vous conseille d’aller jusqu’au  bout. 

* Le mix a été réalisé au départ pour le Maison Tsugi Festival, organisé par le magazine Tsugi