Le code du travail est-il l'ami du chômage ?

Jean Tirole lors de la  remise de son prix en Suède en décembre 2014
Jean Tirole lors de la  remise de son prix en Suède en décembre 2014 ©Reuters - TT News Agency
Jean Tirole lors de la remise de son prix en Suède en décembre 2014 ©Reuters - TT News Agency
Jean Tirole lors de la remise de son prix en Suède en décembre 2014 ©Reuters - TT News Agency
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Le gouvernement va s’atteler à la réécriture du code du travail, façon pour lui de réformer le marché du travail pour le rendre moins rigide. Mais la protection de l’emploi est-elle la cause du chômage ? Aucune étude ne le prouve, et c’est Jean Tirole, qui le dit !

Pourquoi est-ce si important pour le gouvernement de changer le code du travail? Pour faire plaisir aux syndicats patronaux? Pour aider les précaires à l'être moins? Pour montrer qu'il peut faire des "vraies" réformes? Sans doute tout ça à la fois, mais avant tout et surtout parce qu'il est l'un des derniers pays européens à ne pas l'avoir fait et que le FMI, la BCE et la Commission Européenne (voir ici les recommandations faites en juin 2015), les marchés financiers le lui demandent de façon répétées. La réforme du marché du travail est la dernière des réformes structurelles à mener pour le gouvernement.

Qu'est-ce qu'une réforme structurelle?

Réforme structurelle, c’est une expression tiroir mais qui a un sens bien précis. On désigne par réforme structurelle les réformes qu’un pays devrait mener pour que sa croissance soit égale à sa croissance potentielle. L’idée étant qu’il y a un idéal à atteindre, la croissance potentielle et des moyens pour y arrive, les réformes structurelles.

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Cette notion de croissance potentielle est sujette à caution, les économistes atterrés notamment n’y souscrivent pas. (Voir ici la récente étude d’Henry Sterdyniak de l’OFCE). Ceux qui y croient et publient régulièrement des chiffres à ce sujet ont plus de poids en ce moment puisque ce sont les économistes du FMI, de la BCE, de l’OCDE, et les analystes financiers qui donnent le là sur les marchés, notamment de dette, or nous leur empruntons en moyenne 4 milliards d’euros par semaine. Il ne s’agit donc pas de les froisser.

Objectif : la croissance potentielle

Selon ces économistes, la croissance potentielle est liée à l’offre : production, le capital, et le travail. La production le gouvernement s’y est déjà attelé avec le pacte de responsabilité, le grand chantier qui vient, on l’a compris, c’est le travail. Or par quoi est limitée l’offre de travail ?

  1. par le nombre de personnes en âge de travailler, d’où l’idée qu’il faut travailler plus et plus longtemps
  2. par le chômage structurel. Ce chômage ayant pour cause selon ces théories néo-classiques: la non qualification ou l’inadéquation de la main d’œuvre et le peu d’incitation que les chômeurs auraient à travailler. Les lobbys patronaux en ont ajouté une troisième : la peur d’embaucher de peur de ne pouvoir licencier ensuite.

Pas de preuve et pourtant…

On peut prendre l’exemple de l’Allemagne ou de l’Angleterre, citer leurs réformes, les mini job à 800 euros outre Rhin, les contrats 0 heures outre manche, aligner ensuite la baisse du taux de chômage dans ces deux pays et dire, voilà c’est la preuve que les réformes du marché du travail, la baisse de la protection, et une plus grande flexibilité entraînent la baisse du chômage, ceci est une démonstration rhétorique, pas économique. Elle ne tient pas compte des facteurs extérieurs, l’Allemagne a profité de la croissance des pays voisins, l’Angleterre a dans le même temps dévalué la livre…

La recherche en économie est plus sérieuse, les étudiants qui étudient à la Toulouse School of Economics où nous sommes le savent. Or il n’y a aucune preuve que la rigidité du marché du travail soit la cause du chômage, et pour cela je m’appuie sur les dires de Jean Tirole qui sera notre invité tout à l’heure et qui ne fait pas partie des économistes atterrés. Il existe des dizaines d’études empiriques sur le sujet, elles font généralement des comparaisons entre pays, mais les données sont nous dit le prix Nobel « vieilles ou biaisées ». Dans un rapport qu’il avait remis en 2003 (voir page 12) au conseil d’analyse économique sur la protection de l’emploi et les procédures de licenciements, il citait une de ses études comparant le Portugal et les Etats Unis et ses conclusions étaient très très prudentes. Si la protection de l’emploi s’accompagne d’une durée du chômage plus longue au Portugal, ce n’est pas pour autant que la protection a pour conséquence une plus longue durée sans emploi.

« Une corrélation n’implique pas un rapport de causalité » écrit Jean Tirole.

Les politiques pourraient méditer cette phrase plus souvent, le débat y gagnerait en hauteur. Ce serait une façon pour eux de faire preuve de rigueur intellectuelle, et redonnerait ses lettres de noblesses à ce mot, rigueur, si présent dans le débat économique.

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