

Fondé en 1951 après les horreurs du IIIe Reich, le Tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe a été construit pour que plus jamais le pouvoir politique ne puisse porter atteinte à l'État de droit. Extrêmement influent en Allemagne, ses arrêts suscitent l'intérêt bien au-delà des frontières.
- Aurore Gaillet Professeure de droit public à l’Université Toulouse-Capitole et membre de l’Institut universitaire de France
- David Capitant Professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre du centre de droit allemand
- Bénédicte Laumond Maîtresse de conférences en sciences politiques à l’Université Versailles Saint Quentin, rattachée au CESDIP
Après 1945, la jeune démocratie allemande se reconstruit en opposition à l’héritage traumatique du IIIème Reich. Pour éviter qu’une telle dérive totalitaire ne se reproduise, elle érige en vertus cardinales le respect de l’État de droit et la lutte contre les dérives totalitaires. Au cœur du dispositif, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe : une institution créée ex nihilo en 1951 et donc émancipée de toute filiation nazie. Cette virginité est sa force. Les architectes du nouvel Etat allemand voient là un gage de crédibilité et lui donnent les prérogatives suffisantes pour contraindre voire sanctionner toute faction politique ou institution tentée de déroger aux lois fondamentales du pays. Forte de ce contexte historique favorable, la Cour a encore étendu son champ de compétences au gré des arrêts. Elle compte aujourd'hui parmi les acteurs politiques allemands majeurs sur des sujets comme le climat, la fin de vie, le financement des partis ou encore l'articulation avec le droit européen. Considérée comme la cour constitutionnelle la plus puissante d’Europe, elle est source d’inspiration pour ses homologues du continent.
Au-delà de la seule loi fondamentale, comment est-elle parvenue peu à peu à s’immiscer dans les moindres recoins du droit -civil, pénal, social- et à peser sur les décisions politiques prises au Bundestag ou par le gouvernement ? Comment est-elle devenue si puissante, sans pour autant se voir taxer de "gouvernement des juges" ? Quelle influence la Cour de Karlsruhe a-t-elle eu et pourrait-elle encore avoir sur la construction européenne ?
Julie Gacon reçoit Aurore Gaillet, professeure de droit public à l’université Toulouse-Capitole, membre de l’Institut universitaire de France ainsi que David Capitant, professeur de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur du Centre de droit allemand.
"Dès les années 1950, la Cour de Karlsruhe a pris l’habitude d’interpréter le catalogue assez restreint des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution allemande de telle façon qu’elle puisse élargir ces droits et donc ses compétences. Par exemple, par une interprétation de l’objectif étatique de protection des fondements de la vie, elle a consacré une obligation pour l'État de protéger le climat dans le temps et pour les générations futures. C’est tout à fait novateur" observe Aurore Gaillet.
"La Cour de Karlsruhe a servi de modèle pour les Cours suprêmes de nombreux pays mais aussi pour les deux grandes cours européennes que sont la Cour de justice et la Cour européenne des droits de l’Homme. Elle vit parfois difficilement la concurrence que lui imposent ces juridictions européennes et ne manque pas de défendre le champ de ses prérogatives. Le contentieux qui l'a opposé à la politique de la BCE en 2020 permet de percevoir la lutte feutrée entre ces cours" analyse David Capitant.
Pour aller plus loin :
- Aurore Gaillet est l'autrice de " La Cour constitutionnelle fédérale allemande, reconstruire la démocratie par le droit" paru aux éditions La mémoire du droit en 2021.
- Allemagne : les pouvoirs de la Cour constitutionnelle | Arte (2021)
Seconde partie : le focus du jour
Face à l’AfD, le dilemme démocratique de la Cour de Karlsruhe

Avec Bénédicte Laumond, maîtresse de conférences à l’Université de Versailles Saint Quentin.
Mercredi 22 février, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a donné raison au parti d’extrême-droite AfD qui réclamait 70 millions d’euros de subventions publiques pour sa fondation. Une décision qui peut sembler contradictoire avec l’esprit de la Constitution allemande, marqué par la notion de "démocratie combative" et la nécessité de combattre les factions politiques menaçant l'état de droit. Comment la Cour de Karlsruhe arbitre-t-elle entre ces deux principes fondamentaux que sont l’équité partisane en politique et la protection de la démocratie ?
Selon Bénédicte Laumond : “La décision de la Cour ne signifie pas nécessairement que l’AfD va recevoir, dans un avenir proche, les fonds publics réclamés. Ce ne sera probablement pas le cas puisque la coalition au pouvoir a déclaré son intention de promulguer une loi privant de fonds publics les forces politiques hostiles à l’ordre démocratique et libéral.”
Pour aller plus loin :
- Bénédicte Laumond est à l'origine de l'article " La régulation du radicalisme de droite : une comparaison franco-allemande" publié dans la revue Raisons politiques en 2020. Elle a aussi écrit l'ouvrage " Police et surveillance de l'extrême-droite en Allemagne publié aux éditions de l'Harmatan" en 2015.
Une émission préparée par Barthélémy Gaillard et Elie Toquet.
Références sonores & musicales
- Instrumental : " Nothing is real" de Boards of Canada (2013)
- L’ancien président du Bundestag rappelle les missions de la Cour de Karlsruhe (Arte - 26/09/21)
- Une juge insiste sur la responsabilité de la Cour de Karlsruhe pour la préservation des valeurs démocratiques allemandes (Arte - 26/09/21)
- Les juges de la Cour élève le droit au suicide assisté au rang de liberté individuelle inaliénable (Arte - 26/09/21)
- L’ancien président du Bundestag défend le mode de désignation des juges (Arte - 26/09/21)
- Un magistrat à la Cour de Karlsruhe, refusent la caricature selon laquelle la Cour serait divisée en deux camps, l’un pro-CDU et l’autre pro-SPD (Arte - 26/09/21)
- Un juge à la Cour de Karlsruhe explique l’arrêt climat pris en 2021 (Arte - 26/09/21)
- Musique : " Das ist alles von der Kunstfreiheit gedeckt" de Danger Dan, un chanteur engagé contre l’extrême droite (2021)
L'équipe
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- Elie ToquetStagiaire