Allemagne : Karlsruhe la puissante : épisode 4/4 du podcast Cours suprêmes : qui veillera sur les vigies ?

Les sages du Tribunal constitutionnel fédéral sont chargés de défendre les libertés fondamentales, y compris celles des générations futures, le 14/12/22
Les sages du Tribunal constitutionnel fédéral sont chargés de défendre les libertés fondamentales, y compris celles des générations futures, le 14/12/22 ©AFP - Uwe Anspach
Les sages du Tribunal constitutionnel fédéral sont chargés de défendre les libertés fondamentales, y compris celles des générations futures, le 14/12/22 ©AFP - Uwe Anspach
Les sages du Tribunal constitutionnel fédéral sont chargés de défendre les libertés fondamentales, y compris celles des générations futures, le 14/12/22 ©AFP - Uwe Anspach
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Fondé en 1951 après les horreurs du IIIe Reich, le Tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe a été construit pour que plus jamais le pouvoir politique ne puisse porter atteinte à l'État de droit. Extrêmement influent en Allemagne, ses arrêts suscitent l'intérêt bien au-delà des frontières.

Avec
  • Aurore Gaillet Professeure de droit public à l’Université Toulouse-Capitole et membre de l’Institut universitaire de France
  • David Capitant Professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre du centre de droit allemand
  • Bénédicte Laumond Maîtresse de conférences en sciences politiques à l’Université Versailles Saint Quentin, rattachée au CESDIP

Après 1945, la jeune démocratie allemande se reconstruit en opposition à l’héritage traumatique du IIIème Reich. Pour éviter qu’une telle dérive totalitaire ne se reproduise, elle érige en vertus cardinales le respect de l’État de droit et la lutte contre les dérives totalitaires. Au cœur du dispositif, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe : une institution créée ex nihilo en 1951 et donc émancipée de toute filiation nazie. Cette virginité est sa force. Les architectes du nouvel Etat allemand voient là un gage de crédibilité et lui donnent les prérogatives suffisantes pour contraindre voire sanctionner toute faction politique ou institution tentée de déroger aux lois fondamentales du pays. Forte de ce contexte historique favorable, la Cour a encore étendu son champ de compétences au gré des arrêts. Elle compte aujourd'hui parmi les acteurs politiques allemands majeurs sur des sujets comme le climat, la fin de vie, le financement des partis ou encore l'articulation avec le droit européen. Considérée comme la cour constitutionnelle la plus puissante d’Europe, elle est source d’inspiration pour ses homologues du continent.

Au-delà de la seule loi fondamentale, comment est-elle parvenue peu à peu à s’immiscer dans les moindres recoins du droit -civil, pénal, social- et à peser sur les décisions politiques prises au Bundestag ou par le gouvernement ? Comment est-elle devenue si puissante, sans pour autant se voir taxer de "gouvernement des juges" ? Quelle influence la Cour de Karlsruhe a-t-elle eu et pourrait-elle encore avoir sur la construction européenne ?

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Julie Gacon reçoit Aurore Gaillet, professeure de droit public à l’université Toulouse-Capitole, membre de l’Institut universitaire de France ainsi que David Capitant, professeur de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur du Centre de droit allemand.

"Dès les années 1950, la Cour de Karlsruhe a pris l’habitude d’interpréter le catalogue assez restreint des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution allemande de telle façon qu’elle puisse élargir ces droits et donc ses compétences. Par exemple, par une interprétation de l’objectif étatique de protection des fondements de la vie, elle a consacré une obligation pour l'État de protéger le climat dans le temps et pour les générations futures. C’est tout à fait novateur" observe Aurore Gaillet.

"La Cour de Karlsruhe a servi de modèle pour les Cours suprêmes de nombreux pays mais aussi pour les deux grandes cours européennes que sont la Cour de justice et la Cour européenne des droits de l’Homme. Elle vit parfois difficilement la concurrence que lui imposent ces juridictions européennes et ne manque pas de défendre le champ de ses prérogatives. Le contentieux qui l'a opposé à la politique de la BCE en 2020 permet de percevoir la lutte feutrée entre ces cours" analyse David Capitant.

Pour aller plus loin :

Seconde partie : le focus du jour

Face à l’AfD, le dilemme démocratique de la Cour de Karlsruhe

Les juges de la Cour constitutionnelle allemande ont jugé que le parti de droite extrémiste NPD ne présentait une menace suffisante contre la démocratie pour justifier sa dissolution, le 17/01/17
Les juges de la Cour constitutionnelle allemande ont jugé que le parti de droite extrémiste NPD ne présentait une menace suffisante contre la démocratie pour justifier sa dissolution, le 17/01/17
© AFP - Thomas Kienzle

Avec Bénédicte Laumond, maîtresse de conférences à l’Université de Versailles Saint Quentin.

Mercredi 22 février, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a donné raison au parti d’extrême-droite AfD qui réclamait 70 millions d’euros de subventions publiques pour sa fondation. Une décision qui peut sembler contradictoire avec l’esprit de la Constitution allemande, marqué par la notion de "démocratie combative" et la nécessité de combattre les factions politiques menaçant l'état de droit. Comment la Cour de Karlsruhe arbitre-t-elle entre ces deux principes fondamentaux que sont l’équité partisane en politique et la protection de la démocratie ?

Selon Bénédicte Laumond : “La décision de la Cour ne signifie pas nécessairement que l’AfD va recevoir, dans un avenir proche, les fonds publics réclamés. Ce ne sera probablement pas le cas puisque la coalition au pouvoir a déclaré son intention de promulguer une loi privant de fonds publics les forces politiques hostiles à l’ordre démocratique et libéral.

Pour aller plus loin :

Le Temps du débat
39 min

Une émission préparée par Barthélémy Gaillard et Elie Toquet.

Références sonores & musicales

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