En juin 2020, le roi Philippe transmettait pour la première fois à la RDC ses "profonds regrets" pour les "blessures" causées par la colonisation. Le fait-elle par devoir, ou sous la pression de ceux entendent faire reconnaitre le lien entre discriminations d’aujourd’hui et exploitation d'hier ?
- Jean Omasombo Politologue congolais et chercheur au Musée royal de l'Afrique centrale (Mrac) de Bruxelles
- Johann Chapoutot Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne - Paris IV
C’était le 30 juin 2020, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo. Le roi Philippe, héritier de la monarchie belge, exprimait publiquement, et pour la première fois, ses "profonds regrets" pour les "blessures" causées par la colonisation. Dans une lettre remise à Felix Tshisekedi, Président de la République démocratique du Congo, il évoquait "les actes de violence et de cruauté qui ont été commis et qui pèsent encore sur notre mémoire collective".
Un geste fort pour le descendant direct de Leopold II - roi qui, au début du XXe siècle, avait fait du Congo sa propriété personnelle et instauré un régime d’exploitation des ressources et des hommes d’une grande violence.
Ce n’est pourtant qu’assez récemment que la Belgique a commencé à s'interroger sur son passé colonial en Afrique. Tandis que des activistes aspergent de peinture rouge les statues du roi Leopold, historiens et intellectuels se penchent sur ce passé encore douloureux aux nombreuses zones d’ombres.
En octobre 2020, la justice belge ordonnait la restitution des restes du corps de Patrice Lumumba, leader indépendantiste et éphémère premier ministre, assassiné en 1961. Un acte symbolique fort, même si les circonstances et les responsabilités de sa mort continuent de faire débat.
Cette restitution contribuera-t-elle à l’apaisement des mémoires de cet épisode tragique, qui priva les Congolais d’un dirigeant qui était devenu le symbole vivant de la lutte anticoloniale ? Quel est le chemin parcouru par la Belgique pour affronter, comprendre et reconnaitre son passé colonial ?
Le fait-elle par devoir, ou sous la pression des opinions publiques et de militants, qui, dans le sillage de Black Lives Matter, entendent faire reconnaitre le lien entre discriminations d’aujourd’hui et exploitation coloniale d’hier ? Comment la mémoire coloniale est-elle perçue aujourd’hui en République démocratique du Congo, et quel enseignement de l’histoire transmet le pays aux générations futures ?
Une discussion en compagnie de Jean Omasombo, politologue, chercheur au Musée royal de l'Afrique centrale (MRAC) à Tervuren (Belgique), et de Karine Ramondy, historienne, chercheuse associée à l’UMR SIRICR, à Paris I Panthéon Sorbonne, spécialiste de l’histoire de l’Afrique au XXème siècle, de l’histoire du panafricanisme et de l’histoire du corps.
La Belgique est frileuse parce que le dossier de l'assassinat de Patrice Lumumba ouvre beaucoup de portes. On touche à la monarchie, on touche au gouvernement, et on touche aux différentes communautés belges. Jusqu'en 1960, le Roi, pour lequel le Congo était à un moment la "propriété personnelle", a pu intervenir en parallèle du gouvernement. Jean Omasombo
Il y a une commission d'enquête belge, chargée de déterminer les conditions exactes de l'assassinat de Lumumba, et notamment l'implication des responsables politiques belges dans cet assassinat, qui a été mise en place entre 2000 et 2001. C'est une commission qui a fait, dans sa composition, parler d'elle, puisque qu'elle était composée de nombreux spécialistes, mais qu'aucun expert africain n'y a été nommé. Karine Ramondy
Seconde partie - le focus du jour
Passé colonial allemand : une mémoire qui peine à refaire surface
Le 16 décembre 2020, un nouveau musée a ouvert au cœur de Berlin : le Forum Humboldt, un musée ethnographique censé présenter au public des œuvres d’art venues des quatre coins du monde. Mais lesdites œuvres sont en grande partie issues du passé colonial allemand, et font aujourd'hui l’objet de demandes de restitutions de la part des anciennes colonies, notamment en Afrique.
La polémique, qui couve depuis quelques années, a fait ressurgir un passé méconnu et peu présent dans le débat public : celui de l’empire colonial allemand et son lot de spoliations et de violences.
A commencer par le massacre – parfois qualifié de génocide - des ethnies Hereros et Namas, en Namibie, au début du XXe siècle. Méconnu et peu étudié, le passé colonial allemand est-il en train de refaire surface ? Les allemands sont-ils prêts à un travail de mémoire sur cette époque ?
Avec Johann Chapoutot, historien, spécialiste de l'Allemagne, professeur à Sorbonne Université.
Il y a un renouveau mémoriel en Allemagne depuis les années 2000, 2010, qui est lié à deux choses. Il est d'abord lié à un mouvement historiographique : on a redécouvert l'histoire du nazisme sous le jour de la colonisation nazie à l'est, ce qui a déclenché un "effet retour" sur l'histoire coloniale allemande. Par ailleurs, à partir de 2013, le projet de constitution du Forum Humboldt a également motivé ce renouveau mémoriel. Johann Chapoutot
Une émission préparée par Mélanie Chalandon.
Références sonores
- Extraits de la lettre du roi Philippe de Belgique au président Félix Antoine Tshisekedi, dans laquelle il exprime ses « plus profonds regrets » pour les « actes de violences » et les « souffrances » infligés au Congo léopoldien puis belge. (2020)
- Extrait du discours de Patrice Lumumba du 30 juin 1960 (indépendance de la RDC), dans lequel il salue ses frères combattants (RTS, archive du 30 juin 1963)
- En octobre 2018, Jonathan Fine, conservateur de la section africaine du musée ethnologique de Berlin, présentait les nouvelles emprises du Forum Humboldt et revenait sur les pièces qui seront exposées (France 3, reportage d’Hervé Dhinaut et de Denis Bassompierre, 17 octobre 2018)
Références musicales
« Blvd Lumuba » de Kokoko (Label : Transgressive)
« Lumumba calypso » d’Arimza et His music (Label : RCA)
L'équipe
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