Une semaine après la chute du gouvernement afghan et le retour des talibans, Ankara affiche sa volonté de dialoguer avec le nouveau pouvoir. Au risque de froisser ses partenaires de l’OTAN et une partie de sa population.
- Dorothée Schmid Chercheuse, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l'IFRI
- Clément Therme Chargé de cours à l’université Paul-Valery de Montpellier
- Bayram Balci Directeur de l'Institut français d'études anatoliennes à Istanbul, chercheur au CERI-Sciences Po
Le 21 août dernier, une semaine après la chute du gouvernement afghan et le retour des talibans, la Turquie, par la voix de son ministre des affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu, affichait sa volonté de dialoguer avec le nouveau pouvoir afghan.
En parallèle, Kaboul et Ankara échangeaient sur l’aéroport de Kaboul, que les Turcs se proposaient de sécuriser après le départ des Américains. Un empressement qui révèle leur ambition, à terme, de développer leurs relations commerciales et d'accroître leur influence dans la région.
Toutefois, si l’arrivée des talibans fait miroiter des opportunités stratégiques à la Turquie, le pays s’inquiète de la nouvelle vague de réfugiés afghans qui pourrait gagner son territoire, d’autant plus qu’ils sont déjà près de 300 000 à y avoir trouvé refuge ces dernières années. Craignant ce scénario, les autorités turques accélèrent le projet de construction d’un mur à la frontière avec l’Iran. Il faut dire que la question migratoire est devenue un sujet explosif en Turquie, qui accueille déjà 3,5 millions de réfugiés syriens.
Jusqu’où la Turquie pourrait-elle coopérer avec les talibans sans se compromettre sur la scène internationale ni auprès de sa propre opinion publique ? Ses liens historiques et culturels avec l’Afghanistan sont-ils suffisants pour lui permettre de peser face aux autres puissances de la région ? Enfin, en quoi ses ambitions en Afghanistan s’inscrivent-elles dans une politique d’influence diplomatique et militaire plus globale ?
Florian Delorme s'entretient avec Dorothée Schmid, chercheuse, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l'Ifri et Bayram Balci, chercheur au CERI – Sciences Po et directeur de l’IFEA (l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes) à Istanbul.
Les Turcs ont des atouts : historiquement, les relations entre la Turquie et l’Afghanistan et l’image de la Turquie dans le continent indien ont toujours été bonnes. La coloration islamiste en Turquie favorise la possibilité de trouver un accord avec les talibans et ces derniers ont intérêt à ce qu’il y ait une présence turque au niveau économique, voire également militaire. Bayram Balci
Il y a une contradiction physique entre une diplomatie turque qui se projette vers l’extérieur et cette construction d’un mur aux frontières syrienne et iranienne. Car même si tout le monde a pensé aux Turcs pour devenir une plateforme de gestion des réfugiés, il n’en est pas question pour Erdogan, conscient du ressentiment anti-syrien qui prospère déjà en Turquie. Dorothée Schmid
Seconde partie : le focus du jour
L’Iran divisé face au retour des talibans
Le 16 août dernier, au lendemain de la reprise du pouvoir par les talibans, le Président iranien Ebrahim Raïssi déclarait que son pays « tenait aux relations de bon voisinage avec l'Afghanistan » et affiche depuis vouloir dialoguer avec le nouveau pouvoir afghan. Une posture qui a surpris jusque dans son propre camp, car les différends idéologiques et historiques entre les radicaux sunnites afghans et les mollahs chiites iraniens ne manquent pas. Le sort réservé à la minorité chiite hazara en Afghanistan, notamment, a toujours préoccupé les Iraniens.
Toutefois, l’Iran pourrait avoir intérêt à coopérer avec le nouveau pouvoir afghan, car de nombreux défis attendent ces deux pays qui partagent une frontière de 936 kilomètres : la question des réfugiés afghans, redoutés par les Iraniens, mais aussi de nouvelles coopérations économiques et sécuritaires. Jusqu'où les deux régimes seraient-il prêts à coopérer ?
Avec Clément Therme, chercheur associé à l'Institut universitaire européen de Florence.
La politique iranienne a toujours été multidimensionnelle, capable de s’entendre avec des acteurs ayant des relations antinomiques sur le théâtre afghan. L'affaiblissement de la minorité hazara risque donc de placer l’Iran face à des contradictions insolubles : dans une perspective de répression accrue de cette minorité par les talibans, son défi est de maintenir cette politique multidimensionnelle. Clément Therme
Références sonores
- Le 21 août dernier, Mevlüt Cavusoglu, ministre des affaires étrangères turc, appelait au dialogue avec les talibans (Le Figaro, 21 août 2021)
- Témoignage d’un réfugié afghan en Turquie (Euronews, 18 août 2021)
- Lors d’un point presse le 24 août dernier, Saeed Khatibzadeh, le porte-parole du ministère des affaires étrangères iranien, est revenu sur l’échec de la présence américaine en Afghanistan (Ruptly, 24 août 2021)
Références musicales
- « Stick to my side » de Pantha du Prince (Label : Naïve records)
- « Gole yakh » du chanteur iranien Kourosh Yaghmaei, sortie en 1974 (Label : Now Again records)
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