Jusqu'où l'héritage de Gamal Abdel Nasser s'inscrit-il dans les orientations politiques d'Abdel Fattah al-Sissi, président de l'Egypte depuis 2013 ? Que reste-t-il, en Egypte, du panarabisme, du socialisme arabe, et de l'influence des Frères musulmans ?
- Robert Solé Ecrivain et journaliste
- Stéphane Lacroix Professeur à Sciences Po et chercheur au CERI
- Anne-Claire De Gayffier Bonneville Maître de conférences en histoire contemporaine du Moyen Orient à l’INALCO, Institut National des Langues et Civilisations Orientales,
En inaugurant en grande pompe, en 2015, le nouveau canal de Suez, le président Abdel Fattah al-Sissi s’inscrivait ouvertement dans la lignée ouverte par Gamal Abdel Nasser, qui avait nationalisé en 1956 le premier canal, resté depuis lors un symbole de la souveraineté de l’Egypte. Comme son prédécesseur, le dirigeant actuel est un militaire de carrière, et comme lui, il accorde une grande marge de manoeuvre à l’armée dans la gestion des affaires économiques du pays.
Ministre de la défense durant le court mandat de Mohammed Morsi, issu des Frères musulmans et démocratiquement élu, Sissi a renversé celui-ci en juillet 2013 et mené par la suite une répression extrêmement sévère à l’encontre des membres supposés de la confrérie, que Nasser avait lui-même dissoute en 1954. Mais au-delà de ces points communs revendiqués, une partie constitutive de l’héritage du premier raïs semble aujourd’hui oubliée. Quand Nasser se posait en leader du tiers-monde et défendait le nationalisme arabe, le nationalisme de Sissi est strictement replié sur l’Egypte, et il est difficile d’y retrouver la trace du panarabisme de son prédécesseur. De même, la politique sociale de ce dernier, qui avait d’ailleurs fortement contribué, dans les années 1950 et 60, à tenir à distance les Frères musulmans, n’a pas d’équivalent dans l’Egypte contemporaine, en proie à une pauvreté galopante accentuée par des inégalités croissantes.
L’héritage de Nasser se limite-t-il chez Sissi à l’uniforme - dont l’un et l’autre s’étaient débarrassé une fois au pouvoir, sans que cela les empêche de se reposer en grande partie sur l’armée ? Dans quelle mesure leur répression commune des Frères musulmans est-elle un élément structurel de la vie politique du pays ? Que reste-t-il, au sein de la société égyptienne et dans le reste du Moyen-Orient, du panarabisme et du socialisme arabe ?
Une discussion en compagnie de Stéphane Lacroix, professeur associé à l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po, chercheur au CERI, et d'Anne-Claire De Gayffier Bonneville, maître de conférences en histoire contemporaine du Moyen Orient à l’INALCO.
A la différence de ses prédécesseurs, Sissi met en scène en permanence son appartenance à l'armée, alors que même si tous les présidents égyptiens depuis 1952 sont issus du corps militaire, ils se sont mis à distance de leur appartenance à l'armée. C'est cohérent avec son idéologie : il arrive au pouvoir avec l'idée d'une restauration de l'autorité de l'Etat. Stéphane Lacroix
On ne peut pas dire que l'islam politique n'existe plus en Egypte - c'est juste qu'il ne se montre plus, que ses soutiens ne se montrent plus. Anne-Claire De Gayffier Bonneville
Les Frères musulmans sont tombés dans un panneau qui leur a coûté cher : celui de croire que parce que Sissi était pieux, il était forcément, d'une manière ou d'une autre, l'un des leurs. Stéphane Lacroix
Il y une grande affection, dans la société égyptienne, pour Nasser, pour ce qu'il a représenté. C'est un symbole de la lutte contre tous les impérialismes. Il y a également, outre sa politique sociale, une complicité qu'il avait réussi à créer avec la population - notamment à travers ses discours - et ce contact garde une place importante pour le peuple égyptien. Anne-Claire De Gayffier Bonneville
Seconde partie - le focus du jour
Sadate : le charisme en moins, la pérennité politique en plus
Si Gamal Abdel Nasser, qui a instauré la république, reste pour de nombreux Egyptiens le père incontesté de la nation, et pour le pouvoir en place une référence incontournable, on a vu que des pans essentiels de son projet ont aujourd’hui disparu du paysage politique. Au point que l’on peut se demander si l’Egypte de Sissi ne s’inscrit pas davantage dans la continuité de celle d’Anouar al-Sadate, figure plus controversée et moins charismatique, mais dont les tournants en matière économique et stratégique n’ont jamais été remis en cause.
Avec Robert Solé, écrivain et journaliste, auteur de Sadate, Perrin, 2015.
Sadate a marqué durablement l'Egypte. Il a fini par faire le contraire de Nasser dans tous les domaines. Mais après Sadate, il n'y a pas eu de "dé-satatisation". Ses successeurs sont restés sur la ligne politique qu'il avait instaurée. Robert Solé
Références sonores
- Nasser annonce la nationalisation du Canal de Suez en 1956 (France Cultures, Cultures Monde, 26 mars 2018)
- Abdel Fattah al-Sissi annonce le début d'une "nouvelle voie pour l'Egypte". Le président égyptien a inauguré en grande pompe le nouveau canal de Suez - un chantier impressionnant dont le nouvel homme fort de l'Egypte veut faire un symbole (France 24, 06 août 2015)
- Gamal Abdel Nasser, à propos des Frères musulmans (1954 ou 1958 selon les sources)
- Abdel Fattah Al Sissi appelle à révolutionner l’islam le 28 décembre 14 à l’université Al Azzar du Caire (Cnews, janvier 2015)
- Extrait du discours d’Anouar El Sadate en novembre 1977 à la Knesset, Jérusalem (IBPC, Kan films archive via I24 news, 2017)
Références musicales
- « Egypt » de Dorian & the Dawn Riders (Label : autoproduit)
- « Nouh AL Haman » de Maryam Saleh (Label : Jakarta Records)
L'équipe
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