Opposants les plus farouches à l'accueil des syriens fuyant la guerre en 2015, Varsovie et Prague font preuve d'une très grande solidarité à l'égard des réfugiés ukrainiens depuis le début du conflit. Ces deux pays sont-ils en mesure d'accueillir et d'intégrer cette nouvelle vague de réfugiés ?
- Agnieszka Fihel Chercheure à l'Institut des Migrations
- Jacques Rupnik Historien, politologue, directeur de recherche émérite au CERI/Sciences Po
- Thomas Chopard Doctorant Les violences exercées au cours du processus révolutionnaire et de la guerre civile en Ukraine (1918-1922), thèse à l'EHESS sous la direction d'Alain Blum.
En pleine crise de l’exil de 2015-2016, Varsovie et Prague comptaient parmi les gouvernements européens les plus hostiles à l’accueil des Syriens qui ralliaient le Vieux continent. Sept ans plus tard, poussées par l’union sacrée face à la Russie et la peur de la contagion du conflit, la Pologne -où plus de deux millions d’Ukrainiens ont trouvé refuge- et dans une moindre mesure la République tchèque ont pourtant ouvert massivement leurs portes aux civils fuyant l’agression russe. Un renversement politique et un bouleversement démographique qui, au-delà de l’élan de solidarité spontané des habitants, renvoient les Etats à leurs responsabilités en termes d’intégration à plus long terme des populations déplacées.
Comment les responsables politiques justifient-ils ce revirement sur la question migratoire ? Varsovie, Bucarest, Bratislava, Prague ou encore Budapest sont-elles en mesure d’accueillir et plus largement d’intégrer les milliers d’Ukrainiens qui franchissent chaque jour leur frontière ? A quel avenir économique, linguistique et social ces réfugiés -dont la majorité sont des femmes, des enfants et des personnes âgées- sont-ils promis ? Et enfin, quel rôle l’Union européenne peut-elle jouer dans le soutien à ces Etats en première ligne dans l’accueil des Ukrainiens fuyant la guerre ?
Florian Delorme reçoit Agnieszka Fihel, maîtresse de conférence à l’université de Varsovie et chercheuse associée à l’INED et Jacques Rupnik, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste de l’Europe de l’Est.
"L’émigration polonaise permise par l’accès à l’Union Européenne en 2004 a généré des problèmes structurels sur le marché du travail, avec des déficits de main d’œuvre notamment dans les secteurs de l’agriculture, du bâtiment, de la restauration ou encore de la santé… Sur le plan économique c’est donc une grande chance pour Varsovie de pouvoir bénéficier d’une immigration ukrainienne qui peut rapidement apprendre la langue polonaise" analyse Agnieszka Fihel.
"Aujourd’hui il y a plus de deux millions d’Ukrainiens en Pologne. Une partie était déjà présente avant la guerre, et une autre va sans doute rester après; ce qui fera que près de dix pour cent de la population sera ukrainienne. Or avant la Seconde guerre mondiale, le tiers de la population polonaise était composée de minorités : elle n’est devenue ethniquement homogène qu’après la guerre. La Pologne est peut-être en train de redevenir un pays multiethnique" observe Jacques Rupnik.
Seconde partie : le focus du jour
1944-1947 : La migration forcée de la minorité ukrainienne de Pologne
L’exil de millions d’ukrainiens fuyant la guerre vers la Pologne n’est pas le premier épisode tragique de migrations forcées vécu entre ces deux pays. En effet, en 1944, dans un contexte de modification des frontières d’une Europe de l’est ravagée par plusieurs années de guerre, la minorité ukrainienne, alors très importante en Pologne, est contrainte par le Kremlin de revenir en Ukraine soviétique. Plus de 500 000 ukrainiens sont arrachés à leur terre par une Union Soviétique soucieuse d’homogénéiser ethniquement ses pays satellites. Retour sur cet épisode tragique qui témoigne de la complexité du lien historique unissant les peuples ukrainiens et polonais.
Avec Thomas Chopard, chercheur au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE) de l'Inalco et directeur adjoint du Centre d'études franco-russe
"La Seconde guerre mondiale a marqué un regain des tensions extrêmement fort entre les populations ukrainiennes et polonaises. L’occupant allemand a en effet joué de cette présence des minorités pour attiser ces tensions. L’Union Soviétique a donc voulu régler ce problème en procédant à des échanges de population pour homogénéiser ethniquement l’Ukraine et la Pologne" explique Thomas Chopard.
Références sonores
- Le Premier ministre tchèque Petra Fialy affirme son soutien à l’Ukraine (Extrait discours officiel, 27 février 2022)
- Asia Suchina, réfugiée ukrainienne à Brno, deuxième ville de République tchèque, témoigne de sa gratitude envers les habitants de la ville qui l’ont accueillie et aidée (ABC news, 05 mars 2022)
- Dans l’Est de Varsovie, un jeune couple a décidé d’héberger une famille ukrainienne (Arte, 12 mars 2022)
- Témoignage de Yana, jeune réfugiée ukrainienne de 10 ans qui raconte l’accueil réconfortant qui lui a été réservé dans l’école de Varsovie
- Extrait du film « Wisla » réalisé par Andrzej Kopcza (2004) qui relate l’opération Vistule.
Référence musicale
- « Lions Love » de Pantha du Prince (Label : Rough Trade)
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