Alors qu'Emmanuel Macron juge l'OTAN en état de "mort cérébrale" et amorce un rapprochement avec la Russie, retour celui qui, accusé par certains de mener une politique diplomatique arrogante et solitaire, déstabilise ses alliés et rebat les cartes du jeu.
- Michel Duclos Conseiller spécial à l’Institut Montaigne, ancien ambassadeur
- Jacques Rupnik Historien, politologue, directeur de recherche émérite au CERI/Sciences Po
- Benjamin Haddad directeur Europe à l’Atlantic Council (Washington)
Il est différent des autres disrupteurs qui perturbent la scène internationale car ce n’est pas un populiste et qu’il respecte la plupart des grandes règles du jeu. Pourtant, au nom du pragmatisme et du réalisme, Emmanuel Macron a remis en cause certains fondamentaux de la diplomatie française et déstabilisé ses alliés en faisant sauter plusieurs tabous. Sa plus grande audace aura été d’affirmer, dans une interview donnée à The Economist en novembre dernier, que l’OTAN est en état de « mort cérébrale ». Mais Emmanuel Macron a aussi décidé de se rapprocher de la Russie de Vladimir Poutine, sans prévenir ses partenaires d’Europe centrale et orientale qui craignent toujours la menace de leur grand voisin de l’est.
Au Sahel, où l’opération Barkhane patine, il a rebattu les cartes, affirmant même être prêt, si les Etats de la région ne jouent pas davantage le jeu, à trouver un autre rôle, plus léger, aux forces françaises qui luttent contre le terrorisme. Sa manière de faire de la diplomatie est souvent jugée arrogante par ses alliés européens et trop solitaire par les administrations françaises, qui paient parfois les pots cassés de ses coups d’éclats. D’autant que les résultats sont pour l’instant mitigés. La médiation française sur l’accord nucléaire iranien n’a pas réussi, la dernière réunion du groupe de Normandie n’a pas ramené la paix entre la Russie et l’Ukraine, le couple franco-allemand fait chambre à part et les efforts d’Emmanuel Macron pour convaincre Donald Trump de revenir dans l’Accord de Paris sur le climat ont fait flop. Le seul succès dont peut s’enorgueillir l’Elysée est d’avoir convaincu le président américain de revoir à la baisse son retrait de Syrie.
D’autres viendront-ils s’ajouter dans le grand chantier qu’a ouvert le président en Europe, où il veut imposer la France comme une puissance d’équilibre capable de parler à tout le monde ? Au moment où la Grande-Bretagne quitte l’Union européenne et où l’Allemagne vit la fin de règne d’Angela Merkel, Emmanuel Macron est désormais le seul dirigeant européen à présenter une vision stratégique et globale pour le continent. Quelles sont ses chances de succès ?
Lorsqu'il croit être disruptif, en contestant l’OTAN ou en renouant avec la Russie, Emmanuel Macron exprime souvent des positions traditionnelles de la France. En France cela peut nous parait disruptif mais pour nos partenaires, cette position s’inscrit dans une tradition historique rattachée au gaullisme." Michel Duclos.
Que le président soit impatient à l’égard des diplomates c’est assez classique, et de surcroît dans le système de la Ve République. C’est ce sur quoi on doit lutter : le président, structurellement, a l’impression qu’en politique étrangère c’est à lui de tout faire. Il faut avoir le courage de lui rappeler qu’on ne fait pas une bonne diplomatie sans bons diplomates, et sans moyens pour bien travailler." Michel Duclos.
Le vrai test va être l’avancée sur l’Ukraine. Si on montre que la politique de dialogue avec la Russie peut faire avancer les choses en Ukraine, si on obtient des résultats tangibles, pas seulement sur l’échange des prisonniers mais aussi sur celle du désengagement militaire russe de l’Est de l’Ukraine, même si on laisse de côté la question de la Crimée, les Européens du Centre et de l’Est regarderont le bilan et jugeront sur pièce avec les résultats." Jacques Rupnik.
Sur le fond de la question de l’élargissement de l’UE, Emmanuel Macron engage un débat nécessaire. Sur la méthode, il le fait en bloquant l’ouverture des négociations, avec un pays qui est la Macédoine qui vient de faire deux choses importantes. D'abord la Macédoine a trouvé un accord avec la Grèce sur la question du nom, qui depuis trente ans, anime les antagonismes. Ensuite, le gouvernement a engagé des réformes qui vont dans le sens de la position macronienne. Or, avec ce qui s’est passé, tous les Balkans ont compris le message : la France est contre l’élargissement. Il y a ici une contradiction entre la réalité des débats et la méthode." Jacques Rupnik.
Le meilleur levier d’influence de la France est d’exercer le leadership européen. Entre le Brexit et la paralysie de Berlin, la France est la mieux armée. Elle reste l’un des deux grands acteurs militaires européens, l’un des principaux acteurs économiques." Benjamin Haddad.
La nécessité de créer une nouvelle coalition en Europe passera par la création de nouveaux dialogues en Europe Centrale et orientale, en revenant sur trente ans de rendez-vous ratés. Sur des sujets comme l’immigration, dont on a beaucoup parlé, on n’a pas suffisamment pris en compte le rapport à l’identité nationale du pays. Pour les Pays Baltes, l’OTAN n’est pas juste une organisation, mais fait partie de l’ADN de ces pays, en étant synonyme de leur indépendance. Cette nouvelle coalition passera par plus de respect, d’empathie et de confiance." Benjamin Haddad.
Extraits sonores :
- Emmanuel Macron lors de la Conférence des ambassadeurs et ambassadrices (Extrait discours officiel, 29 août 2019)
- Emmanuel Macron à l’Otan en décembre dernier à propos de l’engagement français au Sahel (France 24, 04 décembre 2019)
- Emmanuel Macron lors de la conférence de presse avec Vladimir Poutine au fort de Brégançon (Le Figaro, août 2019)
- Emmanuel Macron s’exprimant sur l’élargissement européen en conclusion de la Commission européenne réunie à Bruxelles en octobre dernier (BFM, 18 octobre 2019)
Extraits musicaux :
- « Photon » de Pantha du Prince & The Bell Laboratory (label : Rough Trade)
- « Taro » de ALT J
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