Désignant tour à tour un espace géographique, une idéologie politique et le mythe d’une civilisation des steppes, l’Eurasisme est né il y a près d’un siècle suite à la Révolution d’Octobre. Depuis les années 2010, l’idée connait un regain de popularité en Russie, jusqu’au sommet du Kremlin.
- Marlène Laruelle Directrice de l’Institut pour les Etudes Européennes, Russes et Eurasiennes (IERES) au sein de l’Université Georges Washington.
- Michel Eltchaninoff Rédacteur en chef de Philosophie Magazine, agrégé et docteur en philosophie, il est spécialisé en phénoménologie et en philosophie russe.
- David Teurtrie Docteur en géographie, chercheur associé au Centre de Recherche Europes Eurasie (CREE) de l'INALCO et actuellement en poste dans le Sud-Caucase
De la création de l’Union économique eurasiatique dans les années 2010, à la volonté de mettre en place, une Grande Eurasie, le président russe Vladimir Poutine choisit d’inscrire la Russie dans une géographie la plaçant au centre du monde. Craignant de se retrouver marginalisé entre une Union Européenne de plus en plus intégrée et une Chine de plus en plus puissante, Moscou a trouvé, avec l’idée d’Eurasie, une manière de reprendre la main.
Ce positionnement revisite l’eurasisme, théorie politique d’abord développée par l’émigration blanche dans les années 1920. Pour les penseurs eurasistes, comme Nikolaï Troubetskoï, la Russie n’est ni slave, ni occidentale, mais eurasienne, une civilisation à part. Cette dernière est imprégnée de l’orthodoxie slave bien sûr, mais aussi de l’islam des peuples turcophones. Abondamment développée hors des frontières de l’Union soviétique, qui rejette l’héritage religieux dont ses penseurs se prévalent, le concept est revisité à l’intérieur de l’URSS par Lev Goumilev, qui y ajoute une forme de déterminisme environnemental. Ses idées ont connu une certaine postérité en Russie, Poutine ayant lui-même cité Goumilev dans des discours, mais également au Kazakhstan, où l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev a créé une université à son nom. Dans la Russie contemporaine, c’est désormais un néo-eurasisme d’extrême droite qui s’invite dans le débat public, porté notamment par Alexandre Douguine.
De quel eurasisme Vladimir Poutine est-il l’héritier ? Comment réactualise-t-il aujourd’hui ce concept ? Quel bilan dresser de l’Union économique eurasiatique, première déclinaison concrète de son rêve eurasien ? Comment passe-t-il de celle-ci à son nouveau projet de « Grande Eurasie » ?
Il y a un tournant scientiste de l’eurasisme dans la théorie de Goumilev puisqu’un déterminisme biologique se met en place avec un différentialisme qui n’est pas racial, mais lié à une énergie interne. Une sorte d’énergie atomique ou nucléaire, qui est propre à certains peuples et nous mène quelque part. Vladimir Poutine, parfois, reprend cette idée dans ses discours. Michel Eltchaninoff
Du côté du Kremelin il y a une volonté de renforcer la dimension politique de cette union mais pour l'instant il y a une sorte de consensus sur l’idée qu’il faut avancer en priorité avec la sphère économique. David Teurtrie
Seconde partie - le focus du jour
Le néo-eurasisme d'Alexandre Douguine
Parmi les figures communément associées à l’eurasisme, celle du penseur Alexandre Douguine s’impose aujourd’hui comme centrale. Pourtant, ce médiatique conservateur à la longue barbe raspoutinienne, parfois crédité de murmurer à l’oreille du Kremlin, défend une idéologie bien éloignée de l’eurasisme des origines.
Un point de différence entre eurasisme originel et néo-eurasisme, c’est que Douguine apporte des éléments raciaux et un discours arien inspiré par l’extrême droite européenne qui n’était pas du tout présent chez les eurasistes. Les pères fondateurs étaient bien plus intéressés par la mixité entre peuple slave et peuple turcique. La grosse différence, également, est que Douguine a une lecture géopolitique, et uniquement géopolitique, de l’eurasisme extrêmement agressive tandis que les pères fondateurs étaient plutôt dans une sorte de dialogue des civilisations. Marlène Laruelle
Une émission préparée par Margaux Leridon.
Références sonores
- Extrait du discours de Vladimir Poutine à l’ONU en septembre dernier évoquant la « Grande Eurasie » (Site de la présidence russe, 22 septembre 2020)
- En mai 2014, un sommet regroupant Russie, Kazakhstan et Belarus donnait naissance à l’Union économique eurasiatique. Nous entendons ici successivement Nursultan Nazarbayev, président du Kazakhstan puis Vladimir Poutine. (Euronews, 29 mai 2014)
- Alexandre Douguine à propos du retour de l’espace eurasiatique et de l’empire solaire (Breizh Info, 26 septembre 2019)
Références musicales
- « Fields » de Christian Löffler (Label : Ki records)
- « No one’s home » de Mikael Tariverdiev (Label : Earth recording)
L'équipe
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