De la capture du carbone au blanchissement des nuages en passant par la fertilisation des océans, la géo ingénierie fascine et interroge : solution miracle, pari prométhéen risqué ou prétexte au statu quo productiviste ?
- Pierre Gilbert Auteur et consultant en prospective climatique à l'Institut Rousseau
- Sofia Kabbej Chercheuse à l’IRIS, spécialiste des questions sociales et sécuritaires liées à l’énergie et particulièrement à la géo-ingénierie
- Pierre Grosser historien, spécialiste des relations internationales, membre du Centre d’histoire de Sciences Po.
Derrière la géo ingénierie, cette science aux avancées encore embryonnaires et aux contours flous, une idée fondatrice : corriger le réchauffement climatique par la technique et la science. De la capture du carbone à l’ensemencement des nuages en passant par la fertilisation des océans, la discipline interroge, au point qu’un rapport des services de renseignement américain paru jeudi dernier s’inquiète des conséquences de cette discipline sur l’ordre mondial au niveau social, politique voire même militaire.
Peu encadrée au niveau international, objet d’études scientifiques parfois partiales, la géo-ingénierie fait l’objet d’investissements conséquents de la part de nombreux acteurs, qu’ils soient publics ou privés. Etats qui ensemencent les nuages ou philanthropes spécialisés dans la capture du carbone, tous militent pour faire de la géo-ingénierie un savoir légitime, ou même une solution crédible à l’urgence climatique mondiale. Cette entreprise porte d’ailleurs ses fruits, puisque certaines techniques de géo-ingénierie sont aujourd’hui intégrées dans les projections du GIEC.
Quel est le degré d’avancement de la géo-ingénierie ? Quelles puissances investissent dans cette discipline ? S’agit-il de véritables solutions d’avenir ou d’une diversion des industriels destinée à leur éviter de remettre en question leur modèle économique ? La géo-ingénierie, solution miracle ou pari prométhéen risqué ?
Une expérience de blanchiment des nuages marins a été menée en 2020 par l’Australie sur la Grande Barrière de Corail. Les scientifiques ont réussi à contourner le droit international en présentant cette technique comme permettant de lutter contre le blanchiment des coraux. L’enjeu autour de la géo-ingénierie est donc que la science va beaucoup plus vite que la régulation internationale. Sofia Kabbej
Un des problèmes de la géo-ingénierie est qu'elle ne demande pas tant de moyens que cela, pour un impact qui dépasse les frontières nationales. Par exemple, lorsqu’on ajoute des sulfates de fer dans l’océan, le plancton (…) va consommer tout l’oxygène présent sur la zone. Pierre Gilbert
Florian Delorme s'entretient avec Sofia Kabbej, chercheuse à l’IRIS, spécialiste des questions sociales et sécuritaires liées à l’énergie et particulièrement à la géo-ingénierie et Pierre Gilbert, auteur et prospectiviste du changement climatique.
Seconde partie : le focus du jour
Guerre du Vietnam : les débuts militaires de la géo ingénierie
Lors de la guerre du Vietnam, l’armée américaine s’est évertuée à prolonger artificiellement la saison de la mousson afin d’inonder la piste Ho Chi Minh, une voie d’acheminement stratégique. L’usage de cette arme météorologique se fait d’ailleurs parallèlement à l’épandage américain de « l’agent orange », puissant défoliant visant à détruire les forêts pour dénicher les résistants vietnamiens. Cette « opération Popeye » marque les débuts de la géo ingénierie militaire et débouche en 1978 sur l’adoption de la Convention ENMOD, qui interdit de modifier le climat à des fins militaires ou hostiles.
A quand remonte la modification du climat à des fins hostiles ? Quelle était la place de la géo ingénierie dans la stratégie américaine pendant la Guerre froide et quelles furent ses conséquences ?
La vision catastrophiste de ce qui peut se passer avec le climat ne venait pas seulement de militants classés traditionnellement à gauche, mais aussi de personnes qui ont pensé la guerre froide, donc de militaires. Pierre Grosser
Avec Pierre Grosser, historien, spécialiste des relations internationales et membre du Centre d’histoire de Sciences Po.
Pour en savoir plus :
- Arming Mother Nature.The Birth of Catastrophic Environmentalism, Jacob Darwin Hamblin, OUP USA, 2013
- Make It Rain. State Control of the Atmosphere in Twentieth-Century America, Kristine C. Harper, University of Chicago Press, 2017
Références sonores
- En juin 2001, G.W. Bush affirmait que les Etats-Unis étaient désormais déterminés à trouver une réponse scientifique au réchauffement climatique (AP, 11 juin 2001)
- David Keith, considéré comme l’un des gourous de la géo-ingénierie, propose d’injecter un immense nuage de cendre dans l'atmosphère pour dévier la lumière du soleil et la chaleur (TED, 15 novembre 2007)
- Steve Oldham, PDG et ingénieur d’une usine de capture de carbone installée à Squamish, en Colombie britannique, sur les perspectives enthousiasmantes que cette technologie ouvre selon lui (Vice, 14 décembre 2019)
- En octobre 2019, Jeff Bezos annonçait qu’Amazon allait contribuer à financer la reforestation à hauteur de 100 millions de dollars (Amazon news, 31 octobre 2019)
- Ambiance de largage de poussière de roche rouge dans le golfe d’Alaska en 2002
- Extrait d’une interview de Paul Crutzen (prix Nobel de chimie 1995) à propos de son intérêt pour la météorologie qu’il trouve plus « intuitive » que les mathématiques (Site du Nobel Prize, Juin 2000)
- En juillet 1972, François de Closet évoquait à la télévision française la création de pluie artificielle par l’armée de l’air américaine en opération au Vietnam (ORTF, 05 juillet 1972)
Références musicales
- « Ash & Snow » de Christian Löffler (Label : Ki records)
- « Here’s That Rainy Day » d’Ella Fitzgerald (Label : Verve)
L'équipe
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