Pont de Crimée : relier pour mieux régner : épisode 2/4 du podcast Petite géopolitique des ponts

Chars russes traversant le pont de Crimée
Chars russes traversant le pont de Crimée ©AFP - Russian Defence Ministry
Chars russes traversant le pont de Crimée ©AFP - Russian Defence Ministry
Chars russes traversant le pont de Crimée ©AFP - Russian Defence Ministry
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Symbole de l'annexion de la péninsule ukrainienne par Moscou, le pont de Crimée assure la liaison avec la Russie continentale. Inauguré par Poutine en 2018, comment cet ouvrage permet-il de renforcer la position du Kremlin sur le bassin pontique ?

Avec
  • Denis Eckert Géographe, Directeur de recherches au CNRS, Directeur du LISST, Université Toulouse-Le Mirail
  • Martin Motte Historien, directeur d’études à l’École pratique des Hautes études, spécialiste des questions navales
  • Alexandra Novosseloff Senior Visiting Fellow au Brian Urquhart Center for Peace Operations International Peace Institute (IPI) de New York

Après avoir mis la main sur la Crimée en 2014, Moscou cherchait à affirmer son emprise sur la péninsule, assurer sa liaison avec la Russie continentale mais aussi marquer le retour de sa grandeur passée. Trois objectifs atteints à travers un seul projet : le pont de Crimée. Plus grand ouvrage d’Europe avec ses 19 kilomètres de long, il relie Kertch, côté Crimée, à Taman, côté Russie continentale. Inauguré en grande pompe par Vladimir Poutine en mai 2018, le pont de Crimée est à la fois une artère commerciale, une vitrine du génie civil, mais aussi un point de passage stratégique pour les forces armées russes depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine.  Ce pont constitue ainsi l’une des clés de voûte de la politique de Vladimir Poutine dans les mers chaudes.

Le pont de Crimée permettra-t-il à Moscou d’entériner dans la durée le principe du rattachement de ce territoire à la Fédération de Russie ? Séparant la mer Noire de la mer d’Azov, comment ce pont concourt-il à renforcer la position dominante de la Russie sur le bassin pontique dans le contexte de la guerre en Ukraine ? Dans quelle mesure a-t-il permis d’approvisionner le territoire et d’améliorer les conditions de vie de ses habitants ? Comment ce chantier pharaonique s'inscrit-il dans la lignée des grands travaux menés sous l’ère soviétique ?

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Florian Delorme reçoit Denis Eckert, géographe, directeur de recherche au CNRS et membre d’un projet de recherche franco-allemand sur l’Ukraine et la Moldavie et Martin Motte, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études et membre de l’Institut de stratégie comparée.

"Il y a déjà eu un projet de pont conclu entre l'ancien président ukrainien pro-russe Ianoukovitch et Moscou. Mais les échanges commerciaux entre ces deux pays passaient avant tout par le continent car le sud de la Russie et la Crimée était des régions moins urbanisées. Ce qui explique la non-réalisation de ce pont en temps de paix, et sa mise à l’agenda en temps de guerre, lorsque des considérations plus géostratégiques sont entrés en compte" observe Denis Eckert.

"Le pont de Crimée a permis d’aboutir à une forme de blocus économique car sa hauteur empêche le passage des navires ukrainiens de plus de trente mètres de haut, desservant le port de Marioupol. Ce blocus s’accompagne maintenant d’une prise de contrôle politico-militaire à travers l'objectif russe de domination de la Mer d'Azov" analyse Martin Motte.

Seconde partie : le focus du jour

Le pont de Ruhki, dernier lien entre la Géorgie et la République séparatiste d’Abkhazie

Pont de Ruhki
Pont de Ruhki
© Getty - Meredith Chait

En Géorgie, le pont de Ruhki, est l’un des derniers liens avec la République séparatiste d’Abkhazie. Traversant la rivière Ingouri, ce pont constitue en effet le dernier point de passage reliant les familles séparées par un conflit gelé depuis plus de 25 ans. Mais depuis la guerre de 2008, l’arrivée des troupes russes au sein des territoires séparatistes s’est accompagnée d’une rigidification de la frontière : multiplication des contrôles d’identité, règles plus strictes pour traverser la rivière... Renforçant le sentiment d’isolement de la minorité géorgienne vivant en Abkhazie. Ultime point d’attache, le pont de Rukhi devient paradoxalement le symbole d’une séparation inexorable entre l’Abkhazie et la Géorgie.

Avec Alexandra Novosseloff, Chercheur associée au centre Thucydide à l'Université Panthéon-Assas. 

"Des deux côtés du pont, il y a des familles qui ont été séparées par la guerre de 92-93 lorsque l’Abkhazie a fait sécession. Une séparation qui s’est accrue avec la guerre de 2008 et l’arrivée des troupes russes dans les territoires séparatistes. Ce pont est une véritable ligne de vie entre ces géorgiens vivant des deux côtés de la frontière" explique Alexandra Novosseloff.

Références sonores

  • Vladimir Poutine inaugure le pont de Crimée, un rêve impérial russe séculaire dont il rappelle l’histoire longtemps contrariée (Arte Reportage, Août 2019)
  • Kayrat Tursunbekov, directeur adjoint du chantier, compare l’ouvrage à l’exploit spatial de Youri Gagarine (Arte Reportage, Août 2019)
  • Ioulia Païevska, alias “Taïra”, habitante de Marioupol devenue célèbre pour avoir porté secours aux soldats ukrainiens blessés au front, dénonce la propagande architecturale russe (Arte Reportage, Août 2019)  
  • Nicolaï,  directeur de supermarché en Crimée  se réjouit de l’ouverture du pont, qui lui permet de ne plus dépendre du fret maritime  (France24, mars 2017)
  • Un capitaine russe ordonne "d'écraser" un bateau ukrainien dans le détroit de Kertch (Le Monde, novembre 2018) 
  • Aleksandr Oleynik, directeur du port de Marioupol dénonce la volonté russe d’empêcher les plus hauts navires de passer en mer d’Azov (Arte Reportage, Août 2019)
  • Des géorgiens parlent de la difficulté de traverser le pont d'Enguiri (Extrait du documentaire « The Bridge », 2005)

https://www.youtube.com/watch?v=mlCmJcUiyVM&t=1s 

Références musicales

  • Mysterium – Venus Ex Machina (album Lux, 2021, label AD93) 
  • 1944 - Jamala  (label : Universal Music, 2016) 

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