Dans les discours officiels, dirigeants angolais et portugais mettent en avant leur histoire partagée, donnant l’impression d’une relation post-coloniale apaisée. Dans quelle mesure les relations économiques des deux pays ont-elles effacé, depuis les années 2000, les blessures de la colonisation ?
- Didier Péclard politiste et spécialiste de l’Angola, professeur associé de science politique et directeur du master en études africaines au Global Studies Institute de l’Université de Genève
- Armelle Enders Historienne, professeure à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, spécialiste de l’histoire du Brésil contemporain
- Yves Léonard Historien, enseignant à Sciences-Po Paris, spécialiste du Portugal
Dans les discours officiels, dirigeants angolais et portugais mettent avant tout en avant leur histoire partagée, leur coopération présente et la construction d’un futur commun, donnant l’impression d’une relation post-coloniale apaisée, loin des tensions mémorielles que nous évoquons depuis le début de la semaine.
Cette sérénité affichée a longtemps reposé sur une situation économique inhabituelle : alors que la plupart des anciennes colonies sont plus pauvres que leurs anciennes métropoles, l’Angola a connu dans les années 2000 un boom économique, tandis que le Portugal traversait quelques années plus tard une terrible crise de la dette. Deux événements qui ont quasiment inversé le rapport entre les deux pays, déclenchant une vague migratoire de jeunes Portugais vers l’Angola, et une vague d’investissements de capitaux angolais dans l’économie portugaise.
Mais ce double mouvement, aujourd’hui mis à mal par la crise pétrolière qui a touché par la suite le pays africain, ne s’est pas fait sans tensions. Au Portugal, certains sont allés jusqu’à accuser l’Angola de colonisation inversée – thème dont l’extrême-droite a fait un cheval de bataille, quitte à brasser un imaginaire raciste. Car derrière un discours public très positif, les tensions mémorielles subsistent dans les deux pays.
Comment les relations économiques intenses du Portugal et de l’Angola dans les années 2000 et 2010 ont-elles effacé, ou au contraire ravivé, les blessures de la colonisation ? Au-delà de la politique, comment les deux populations se perçoivent-elles mutuellement et quelle mémoire commune construisent-elles ? Dans quelle mesure les scandales de corruption aux ramifications internationales révélés depuis le départ du clan Dos Santos à Luanda ont-ils fait monter les tensions entre les deux pays ?
Une discussion en compagnie d'Yves Léonard, historien du Portugal, membre du Centre d’histoire de Sciences Po Paris, et de Didier Péclard, politiste et spécialiste de l’Angola, professeur associé de science politique et directeur du master en études africaines au Global Studies Institute de l’Université de Genève.
La prise de pouvoir de João Lourenço, en 2017, s'est faite dans un contexte de grande crise économique en Angola. Après une période de croissance économique phénoménale, le pays est entré en 2014 dans une crise profonde qui a révélé que l'économie angolaise est encore totalement dépendante des cours du pétrole. Lourenço a pris, à l'international, une position très pragmatique face à cette situation : il a cherché un maximum de soutiens, de l'Union européenne et au-delà, pour trouver des investisseurs. Didier Péclard
D'une certaine manière, c'est, en 1974, la Révolution des œillets qui a permis de régler assez rapidement la question de l'indépendance angolaise. Dans les mois et les années qui la précédaient, c'étaient des rivalités et des divisions qui avaient fini par l'emporter entre les différentes puissances qui étaient impliquées sur la scène angolaise. Yves Léonard
Seconde partie - le focus du jour
Le luso-tropicalisme : une théorie du métissage au service du statu quo colonial
Loin de la multitude de thèses racialistes justifiant, pour les régimes coloniaux européens, leur expansion, Antonio Salazar développe, à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, des discours mettant en avant le caractère multiculturel, pluri-continental, et assurément multiracial de la société coloniale portugaise. Avec, en fond, l’idée que les Portugais ont une capacité d’adaptation particulière aux tropiques. Le nom de cette théorie : le luso-tropicalisme.
Il faut en fait remonter aux années 1930 et aux travaux du sociologue brésilien Gilberto Freyre pour aller aux racines de cette idée. Alors, comment ce bagage idéologique s’est-il retrouvé entre les mains de Salazar et de l’Estado Novo ? Comment l’a-t-il mobilisé dans le but de maintenir le statu quo colonial ? Peut-on encore voir des traces du luso-tropicalisme dans les sociétés post-coloniales lusophones ?
Avec Armelle Enders, historienne du Brésil contemporain, professeure à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, et chercheuse à l'Institut d'Histoire du Temps Présent.
Une émission préparée par Margaux Leridon et Nicolas Szende.
Références sonores
- Extraits des discours du président angolais João Lourenço et du président portugais Marcelo Rebelo de Sousa, lors de la visite de ce dernier en Angola, en mars 2019
- Témoignage d’Ilidio Barbosa Pinto, ouvrier portugais travaillant sur un chantier à Soares da Costa en Angola, suivi de réactions de trois Angolais de Luanda, plus ou moins favorables à l’arrivée et à l’installation de Portugais en Angola (Euronews, 22 novembre 2013)
- Extrait d’une interview d’Augusto Neto, président de la nouvelle République Populaire d’Anogla, le 11 novembre 1975 (Antenne 2, 11 novembre 1975)
- Extrait du discours d’Antonio de Oliveira Salazar à la tribune de l’ONU lors de son assemblée générale, le 30 juin 1961
Références musicales
- « Licht » de Christian Löffler
- « Fica atento ! » du groupe portugais Batida (Label : Soundways)
L'équipe
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