Elu avec en 2019 à la tête d'Istanbul, Ekrem İmamoğlu inflige, avec cette victoire, un coup historique et symbolique à Recep Tayyip Erdoğan. Combien de temps İmamoğlu pourra-t-il tenir face à un président ne supportant aucun contre-pouvoir ?
- Jean-François Pérouse Géographe, enseignant-chercheur, ancien directeur de l'Institut français d'études anatoliennes
- Elise Massicard Directrice de recherche au CERI/Sciences-Po
- Jean-François Bayart Professeur à l'Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID, Genève)
Nous sommes le 23 juin 2019. Sous un soleil radieux et devant une foule immense, le nouveau maire d’Istanbul savoure sa victoire. Elu avec 54% des voix, Ekrem İmamoğlu vient d’infliger une défaite historique et symbolique au président Recep Tayyip Erdoğan. Car non seulement le parti au pouvoir, l’AKP, perd la plus grande ville du pays mais se voit désavoué dans sa tentative de faire annuler le premier scrutin en mars.
Une victoire aux allures de parcours du combattant pour ce jeune cadre du principal parti d’opposition, le CHP (Parti Républicain du Peuple), d’obédience kémaliste, qui n’avait pas remporté de victoire électorale depuis des années.
« Tout ira très bien », aime à répéter le nouveau maire, malgré les nombreuses tentatives de déstabilisation de ses adversaires. La transparence, la fin du clientélisme, la défense des plus démunis et le respect de toutes les confessions : telles sont les ambitions d’Ekrem İmamoğlu pour Istanbul. Un programme que certains lisent comme une critique ouverte de l’AKP.
Inconnu au bataillon ces dernières années, le maire incarne désormais la résistance aux dérives autoritaires du Président Erdoğan. Et un certain espoir : celui d’une alternative aux prochaines présidentielles.
Mais quand bien même en aurait-il l’ambition, le chemin risque d’être semé d’embûches. Un an et demain après sa victoire à Istanbul la tension est vive entre la ville et la présidence qui tente de l’empêcher, par tous les moyens, d’exercer son mandat.
Combien de temps Ekrem İmamoğlu pourra-t-il tenir face à un président ne supportant aucun contre-pouvoir ? Istanbul sera-t-elle un laboratoire du changement malgré de faibles marges de manœuvre ? Enfin s’il incarne aujourd’hui la figure de l’opposant numéro 1, Ekrem İmamoğlu pourra-t-il à l’avenir fédérer l’ensemble des oppositions à Erdogan ?
Une discussion en compagnie de Jean-François Pérouse, géographe, enseignant-chercheur, ancien directeur de l'Institut français d'études anatoliennes, et d'Elise Massicard, directrice de recherche au CERI/Sciences-Po.
On peut malheureusement dire qu'Ekrem İmamoğlu est aujourd'hui un maire sans pouvoir. Il est réduit au niveau symbolique, puisqu'il n'est par reconnu comme maire par un certain nombre de ses administrés et par les municipalités d'arrondissements qui sont encore acquises à l'AKP. Mais son territoire physique d'action est également réduit : un certain nombre de ministères retirent du territoire d'action de la mairie des portions entières de la métropole, voire des monuments entiers. Jean-François Pérouse
L'AKP est, au niveau national, au pouvoir depuis une vingtaine d'années. L'opposition a toujours été très divisée et assez faible, sauf depuis 2019 et les élections municipales : à partir de là, İmamoğlu, mais aussi d'autres maires de grandes villes - qui ont été élus dans le même mouvement - peuvent constituer des rivaux au niveau national. Elise Massicard
Seconde partie - le focus du jour
Osman Kavala, le mécène qui réveille les dossiers sensibles de la Turquie
On le présente comme un philanthrope. Fondateur de la prestigieuse maison d’édition XX et de la fondation XX, Osman Kavala est un mécène turc particulièrement engagé dans le milieu de la culture et pour le dialogue avec les minorités, à commencer par les kurdes et les arméniens. Des engagements qui dérangent et qui ne sont pas pour plaire au président Erdoğan qui ne manque pas une occasion de critiquer l’homme d’affaires.
Accusé d’avoir participé au mouvement de Gezi de 2013, puis d’avoir soutenu le coup d’Etat manqué de 2016, voilà plus de trois ans qu’Osman Kavala est emprisonné alors même qu’aucun juge ne l’a condamné officiellement. Le 5 février 2021 un tribunal décidait de maintenir sa détention.
Comment Osman Kavala s’est-il retrouvé dans le collimateur du régime d’Erdogan et quelle menace représente-t-il pour les pouvoirs en place ?
Avec Jean-François Bayart, professeur à l'Institut des hautes études internationales de Genève.
On reproche essentiellement à Osman Kavala d'être "l'autre" absolu par rapport à Erdoğan et par rapport à l'AKP. Par sa trajectoire, il incarne une Turquie "blanche", celle des kémalistes laïcs, celle de la bourgeoisie. Jean-François Bayart
Une émission préparée par Mélanie Chalandon.
Références sonores
- Extrait du discours de victoire d’Ekrem Imamoglu, le 24 juin 2019 (France 24, 24 juin 2019)
- Témoignage d’une partisane d’Ekrem Imamoglu lors de sa victoire, le 24 juin 2019 (Euronews, 24 juin 2019)
- Témoignages d’étudiants de l’université du Bosphore qui s’apprêtent à aller manifester (France 24, 03 février 2021)
- En mai 2014, Osman Kavala participait à un rassemblement en souvenir du génocide arménien ( European Grassroots Antiracist Movement, 16 mai 2014)
Références musicales
- « Translator’s clos II » d’Esmerine (Label : Constellation)
- « Yuh Yuh » de l’ensemble Boğaziçili Müzisyenler (chanson de lutte lors des manifestations de l’université du Bosphore)
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