Turquie : la fin du double jeu ? : épisode • 3/4 du podcast Géopolitique de la guerre en Ukraine

Erdogan et Zelensky à Kyiv le 3 février 2020
Erdogan et Zelensky à Kyiv le 3 février 2020 ©AFP - Sergei Supinsky
Erdogan et Zelensky à Kyiv le 3 février 2020 ©AFP - Sergei Supinsky
Erdogan et Zelensky à Kyiv le 3 février 2020 ©AFP - Sergei Supinsky
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Si depuis plusieurs années, la Turquie s'inscrit avec la Russie dans une relation complexe, oscillant entre coopération et rivalité, elle cherche aujourd'hui à jouer les médiateurs pour mettre un terme au conflit ukrainien. L'heure est-elle venue pour Ankara de choisir son camp ?

Avec
  • Dorothée Schmid Chercheuse, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l'IFRI
  • Marc Pierini Ancien ambassadeur de l’Union Européenne en Turquie, de 2006 à 2011, chercheur à Carnegie Europe à Bruxelles.
  • Fatiha Dazi-Héni Chercheuse spécialiste des monarchies de la péninsule arabique à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM)

La rencontre, vendredi 10 mars 2022 à Antalya, des ministres des Affaires étrangères ukrainien et russe, a été abondamment mise en scène par la Turquie qui espérait en tirer des dividendes diplomatiques. Mais la réunion n’a offert ni avancée ni poignée de main à mettre au crédit de Recep Tayyip Erdogan. Pas de quoi décourager le chef d’Etat turc, qui compte bien continuer à jouer les médiateurs. En effet, Ankara, qui achète des armes à la Russie et en vend à l’Ukraine tout en entretenant des relations suivies avec les deux pays, s’estime particulièrement bien placée pour obtenir un apaisement. Mais alors que la perspective d’une désescalade s’éloigne, la position turque pourrait devenir intenable. Si la guerre se poursuit, Ankara ne pourra plus, comme ces dernières années, jouer sur les deux tableaux : être à la fois dans l’OTAN et proche de Moscou. Un enlisement du conflit couterait, en outre, très cher à la Turquie, dépendante de la Russie en matière énergétique, et très liée économiquement à l’Ukraine.

Dans quelle mesure les tentatives de médiation d’Erdogan peuvent-elles contribuer à débloquer la situation ? Quelle est la nature de ses relations avec la Russie de Vladimir Poutine ? Le chef de l’Etat turc pourra-t-il maintenir ses relations privilégiées avec le Kremlin tout en appartenant à l’OTAN alors que le mouvement de rebipolarisation du monde s’est considérablement accéléré avec la guerre en Ukraine ?

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La Turquie sait qu’elle est un acteur de poids : deuxième armée de l’OTAN, c’est un chainon indispensable de l’alliance pour son action au Moyen-Orient. Les turcs sont en position de force pour faire valoir leurs intérêts propres. Or, si la Russie de Poutine ne se montre pas agressive envers la Turquie, il n’y a pas de raison que qu’Ankara s'aligne sur les positions occidentales et prenne parti contre elle. C’est pourquoi la doxa actuelle d’Erdogan est que la Turquie, gardien des détroits, doit rester neutre, à l’image de ce qu’elle a fait pendant la Seconde guerre mondiale. Dorothée Schmid

En Turquie, les sondages pour Erdogan sont catastrophiques, l’économie est atone et diplomatiquement, la Turquie s’est brouillée, en 2020, avec à peu près tout le monde, sauf la Russie. Tenter une médiation dans le cadre du conflit ukrainien permet à Erdogan de redorer son bilan diplomatique en étant actif en Israël, en Grèce, aux Emirats, ou en Arabie Saoudite. Même si pour le moment, cela produit peu de résultats. Marc Pierini

Florian Delorme reçoit Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l’Ifri et Marc Pierini, chercheur associé au Centre Carnegie Europe à Bruxelles, ancien ambassadeur de l’Union européenne en Turquie. 

Seconde partie : le focus du jour

Les pétromonarchies du Golfe veulent rester « non-alignées »

Ministre des affaires étrangères saoudiennes, le prince Faisal bin Farhan al-Saud, en visite à Munich en 2022.
Ministre des affaires étrangères saoudiennes, le prince Faisal bin Farhan al-Saud, en visite à Munich en 2022.
© AFP - THOMAS KIENZLE

Comme la Turquie, les pétromonarchies du Golfe se sont rapprochées de la Russie ces dernières années, entre partenariats stratégiques et concertation sur le marché des hydrocarbures. Leurs liens avec les États-Unis se sont en revanche refroidis à la faveur de l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, dont les prises de position sur les droits de l’Homme sont mal perçues. Dans ce contexte, Abou Dhabi et Riyad n’ont pas offert à Washington l’alignement espéré au sujet conflit ukrainien, préférant au contraire revendiquer une position non-alignée.

L’abstention [sur le vote de la résolution de l’ONU demandant la cessation de l’intervention russe en Ukraine] des Emirats Arabes Unis a beaucoup surpris en Occident et a suscité l’ire de son plus fidèle allié, les Etats-Unis. La neutralité de la position émiratie est révélatrice de la mauvaise relation entre les autocrates du golfe et la présidence démocrate américaine. Elle illustre la perte de confiance des Etats du Golfe dans la volonté de Joe Biden de continuer à garantir leur sécurité. Fatiha Dazi-Héni

Avec Fatiha Dazi-Héni, chercheuse à l’Institut de recherche de l’École militaire (IRSEM)

Références sonores 

- Recep Tayyip Erdogan se rend à Kiev pour jouer les médiateurs entre la Russie et l’Ukraine peu avant l'éclatement du conflit (Euronews, 04 février 2022)

- Sergueï Lavrov évoque l’initiative turque de pourparlers entre Russie et Ukraine (France 24, 10 mars 2022)

-  Le ministre ukrainien des Affaire étrangères Dmytro Kubela se montre pessimiste quant aux résultats de ces pourparlers (AFP, 10 mars 2022)

- Recep Tayyip Erdogan se rend à Moscou pour dire sa « détermination » sur le dossier syrien au président russe (Euronews, 27 août 2019)

- Extrait de la prise de parole de l’ambassadrice émirienne Lana Nusseibeh au Conseil de sécurité après l’abstention de son pays lors du vote de la résolution condamnant l’agression de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine (Nations Unies, 25 février 2022)

Références musicales

- « Spectral split » de Pantha du prince (Label : Rough Trade)

- « Nereye Gidiyoruz » de Can Kazaz (autoproduit)

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