Grand feuilleton de la rentrée 2020, la tentative de rachat de Suez par Veolia dépasse le monde des affaires. Cette opération révèle, en réalité, de nombreux débats autour de la gestion de l’eau - entre privatisations, service public, et délégation - et de ses implications pour les consommateurs.
- Christelle Pezon Maîtresse de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers, et chercheure au LIRSA (laboratoire interdisciplinaire de recherche en sciences de l'action).
- Alexandra Slaby maître de conférences en anglais à l'université de Caen et spécialiste de civilisation irlandaise.
- Bernard Barraqué Directeur de recherche au CNRS - CIRED, spécialiste de la gestion urbaine de l'eau
Depuis cet été, la France suit les rebondissements des tractations entre les deux grands groupes de gestion des eaux au niveau mondial, Veolia et Suez. Le numéro 1, Veolia, veut s’accaparer le numéro 2, Suez, en rachetant les actions d’une autre entreprise, Engie, qui appartient au capital de Suez.
Serait alors créée une immense entreprise, en situation de monopole en France, mais qui permettrait - selon Antoine Frérot, PDG de Veolia - d’avoir la capacité de contrer la concurrence étrangère dans ce domaine, notamment celle du Beijing Capital Group, super-entreprise appartenant au gouvernement chinois.
Mais, en dehors de cette lutte et de l’intérêt que lui porte le monde des affaires, la tentative de rachat de Suez par Veolia nous permet de mettre en lumière leur secteur : celui des services aux collectivités pour la distribution de l’eau et le traitement des déchets. Alors que s’est développé pendant près de 150 ans un « modèle français » de la gestion de l’eau, par la Lyonnaise des Eaux (Suez) et la Compagnie générale des eaux (Veolia), il semble que depuis quelques années, le passage en régie publique de grandes villes telles que Grenoble, Paris, puis Nice change un peu la donne, et ravive le débat sur la gestion publique ou privée de l’eau, tout en diminuant de plus en plus la part de marché sur le territoire français de ces entreprises.
Dans le reste de l’Europe aussi, ce débat est vivace : que l’on pense au référendum de 2011 en Italie sur la privatisation de l’eau (qui a obtenu un grand non, à 95%), ou encore à la lutte des Berlinois, qui ont chassé Veolia de leur ville la même année.
Comment est né ce « modèle français » de la gestion de l’eau, dont sont héritières Veolia et Suez ? Comment s’est-il exporté ? Quelles seraient les conséquences de la création d’un monopole dans ce secteur ? Quel débat autour de la gestion de l’eau, entre privatisations, service public, et délégation ?
Une discussion en compagnie de Christelle Pezon, maîtresse de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers, et chercheure au LIRSA (laboratoire interdisciplinaire de recherche en sciences de l'action), ainsi que Bernard Barraqué - Directeur de recherche au CNRS - CIRED, spécialiste de l'eau.
Pour aller plus loin :
- Retrouvez ici une sélection, en libre accès, d'articles scientifiques écrits par Christelle Pezon
- Bernard Barraqué - Eau bien commun, eau service public : discussion Nord-Sud, in 4D (dir.) Encyclopédie du développement durable, n°245, Janvier 2018
- Un numéro de la revue Métropolis, dirigé par Bernard Barraqué - L'eau urbaine en Europe et en Amérique du Nord : origines et développements, Flux (2014)
Le rapprochement, même s'il n'est pas achevé, entre Suez et Veolia, est une mauvaise nouvelle pour le consommateur. Si des communes se tournent vers la délégation (gestion privée), au moment de leur choix de gestion, elles auront à choisir entre un nombre de concurrents moindre. Mais la concurrence s'opère plus, aujourd'hui et en France, entre gestion publique et gestion privée qu'entre des entreprises. Christelle Pezon
On ne peut pas réfléchir, de manière générale, au problème de la privatisation dans le marché de la gestion de l'eau, sans l'associer au débat entre centralisation et décentralisation. Bernard Barraqué
Seconde partie - focus du jour
Irlande : la water charge, un enjeu politique
Avec Alexandra Slaby, maître de conférences en anglais à l'université de Caen et spécialiste de civilisation irlandaise.
En 2010, le plan de sauvetage financier, proposé par la troïka européenne à l'Irlande, demandait dans un même paragraphe l'augmentation des frais de scolarité des étudiants et l'instauration d'une taxe sur l'eau. Les Irlandais s'étaient habitués depuis des décennies à ne plus payer l'eau - c'est une décision qui est tombée au mauvais moment, et les Irlandais n'en ont pas voulu. Alexandra Slaby
Références sonores
- Antoine Frérot à propos du rachat de Suez évoquait sur BFM un projet « amical et inclusif » (BFM, 02 septembre 2020)
- Bruno Le Maire plaide pour un accord à l’amiable entre Suez et Veolia (France Info, 06 octobre 2020)
- Franck Reynold von Essen, secrétaire CGT du CE européen de Suez, considère que la casse sociale est inéluctable si fusion il y a (AFP, 08 septembre 2020)
- Archive INA de juillet 1963 qui décrit le réservoir d’eau de Montsouris, et l’attention toute particulière apportée à la qualité de l’eau via notamment l’observation de truites (Reportage de Robert Clarke, 30 juillet 1963)
- John Bissett, activiste irlandais, manifeste en octobre 2014 contre la fin annoncée de la gratuité de l’accès à l’eau (Five Point Five, 15 octobre 2014)
Références musicales
- « You could ruin my day » de Four Tet (Label : Domino record)
- « I cover the waterfront » de Sam Cooke (Label : Abkco music)
L'équipe
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