Comment être (en même temps) socialiste, conservateur et libéral

Emmanuel Macron et le nouveau gouvernement.
Emmanuel Macron et le nouveau gouvernement. ©AFP - PHILIPPE WOJAZER
Emmanuel Macron et le nouveau gouvernement. ©AFP - PHILIPPE WOJAZER
Emmanuel Macron et le nouveau gouvernement. ©AFP - PHILIPPE WOJAZER
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Pour son conseil de lecture du jour à Emmanuel Macron, Brice Couturier détaille la thèse du philosophe polonais Leszek Kolakowski.

Monsieur le Président de la République, vous avez proclamé : « Les deux grands partis ne pouvaient plus résoudre les problèmes de notre pays ; ils avaient construit une forme d’inefficacité collective. […] la recomposition, c’est maintenant ! » Les Français s’interrogent : la recomposition promise passe-t-elle par une simple coalition des modérés des deux familles qui ont structuré notre vie politique ? Ou s’agit-il de redessiner le paysage en fonction de nouveaux clivages (partisans de « l’ouverture » ou du « repli », européistes versus souverainistes, libéraux versus étatistes, laïcs contre multiculturalistes…) ?

Si vous voulez réellement réconcilier les France, comme vous l’écrivez également, je vous conseille la lecture d’un recueil d’articles du philosophe polonais Leszek Kolakowski, récemment publié par Les Belles Lettres. Il s’intitule Comment être socialiste-conservateur -libéral. En même temps ? En même temps ! Je vous défie de trouver plus consensuel.

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"Avancer vers l'arrière !"

C’est alors qu’il se trouvait dans un tramway varsovien à une heure de pointe que ce penseur, qui ne se reconnaissait qu’une seule idéologie, l’antitotalitarisme, eut soudain l’intuition d’une nouvelle Internationale à construire. « Avancez vers l’arrière s’il vous plaît », intima le conducteur. Avancer vers l’arrière, concilier miraculeusement le progrès et la rétroaction, quel dirigeant politique n’en a pas rêvé ? Accommoder le socialisme, le libéralisme et le conservatisme, selon la recette du philosophe polonais, serait également possible. Voyons-en le moyen.

Ce qu’il y a en nous de conservateur sait que toute amélioration obtenue dans un domaine se paie nécessairement d’une dégradation dans un autre. Pour une raison simple : on ne peut poursuivre toutes les valeurs à la fois. C’est une dangereuse utopie totalitaire. Tout est affaire de curseur entre des objectifs également désirables. Ainsi, la réalisation de l’égalité absolue exigerait la plus impitoyable des dictatures. Et la liberté complète signifierait, de son côté, le despotisme des plus forts. L’émancipation de l’individu se paie d’une moindre cohésion sociale. Et si la concurrence stimule la créativité, déchaînée, elle provoque le chaos.

L’élément libéral en nous applique cette règle d’incompatibilité entre eux des objets désirables à l’arbitrage qu’il fait entre sécurité et liberté. Le libéral n’est pas un anarchiste. Il compte sur l’Etat pour protéger, par la loi, les personnes et les biens ; sur sa justice, pour faire respecter les contrats passés. Mais il entend cantonner aussi strictement que possible la tendance spontanée des gouvernants à étendre toujours plus loin l’aile protectrice de l’Etat. Il redoute qu’on ne veuille faire son bonheur malgré lui ; l’empêcher de vivre pour mieux le protéger des dangers de la vie. Et aussi que la capacité des individus à faire progresser la société par leurs initiatives ne soit bloquée par un désir de régulation

Enfin, on a tous en nous quelque chose de socialiste. Conscients que les sociétés mues par la seule recherche du profit individuel sont chaotiques, nous aspirons à faire échapper certaines activités à la régulation par le marché. Nous savons aussi que des inégalités excessives dérèglent les collectivités au point de les rendre invivables. C’est pourquoi nous désirons une redistribution des richesses produites, ainsi qu’un filet de sécurité aux mailles aussi serrées que possible.

Libéral, socialiste et conservateur : une question de dosage

« Pour autant que je puisse en juger, écrit Kolakowski, ces idées directrices ne se contredisent nullement. On peut donc être conservateur-libéral-socialiste. Ces trois qualificatifs représentent des options qui ne s’excluent pas mutuellement. »

Bien sûr, il est loisible de doser. On peut accorder 20 % à sa part conservatrice, et 40 % aux deux autres. Mon cocktail personnel : je suis conservateur sur le plan culturel, parce que je crois qu’il existe une culture française. Libéral s’il s’agit de produire des richesses et de créer des emplois. Social-démocrate, lorsqu’il est question de les distribuer équitablement. Et vous ?

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