Et si l’innovation était un mythe ?

Emmanuel Macron face au robot BUDDY à Las Vegas en janvier 2016.
Emmanuel Macron face au robot BUDDY à Las Vegas en janvier 2016. ©AFP - Robyn Beck
Emmanuel Macron face au robot BUDDY à Las Vegas en janvier 2016. ©AFP - Robyn Beck
Emmanuel Macron face au robot BUDDY à Las Vegas en janvier 2016. ©AFP - Robyn Beck
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Pour son conseil de lecture au nouveau président de la République Emmanuel Macron, Brice Couturier recommande aujourd'hui les ouvrages d'économistes qui mettent en gardent contre le tarissement de l'innovation et ses effets constrastés sur la croissance.

Monsieur le Président de la République, dans votre livre Révolution, vous écrivez : « Aujourd’hui, la France ne doit pas rater le virage de l’innovation et de la numérisation de son économie. » Et vous faites l’éloge du modèle entrepreneurial de la start-up, « ferment, je vous cite, d’une transformation économique et d’un changement culturel. »

Or, le monde intellectuel est aujourd’hui divisé entre techno-optimistes et techno-pessimistes. Un livre, paru l’an dernier, Is US Economic Growth Over ?, a contribué au scepticisme des premiers. Il est l’œuvre d’un spécialiste américain de l’histoire économique, Robert J. Gordon. Celui-ci estime que les grandes innovations, qui ont stimulé l’économie mondiale entre 1870 et 1970 – électricité, automobile, avion, radio, télévision, ordinateur sont derrière nous. Nos économies auraient atteint, selon lui, un « plateau technologique ». C’est la raison pour laquelle la croissance est si molle, depuis plusieurs décennies, tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Gordon ne nie pas qu’il y ait encore, de nos jours, des innovations intéressantes. Mais il estime qu’elles auront dorénavant, sur la croissance économique un impact bien plus faible que celles qu’ont produit, dans le passé, le moteur à combustion interne ou l’électricité.

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Productivité en berne

L’économiste turco-américain Dani Rodrik estime, de son côté, que l’innovation n’a plus dorénavant qu’un faible impact sur la productivité du travail. Parce que les secteurs d’activité touchés par la révolution numérique, en particulier, sont marginaux : la grande majorité de nos dépenses est consacrée à la santé, au logement, à l’éducation et aux transports – activités peu touchées par les grandes avancées technologiques, telles que l’intelligence artificielle, l’automatisation ou la numérisation. Certes, des secteurs comme les technologies de l’information et de la communication sont, eux, fortement impactés. Mais leur importance relative, au sein d’une économie moderne, est trop faible pour peser. En outre, selon Rodrik, le surplus de croissance créé par la numérisation et la robotique ne suffiront pas à compenser le basculement des travailleurs peu qualifiés, de l’industrie traditionnelle vers des services à la productivité faible et aux salaires moins intéressants.

Deux économistes suédois, Frederik Erixon et Björn Weigel, viennent de publier un livre intitulé L’illusion de l’innovation que je recommande particulièrement à votre lecture. Ils montrent comment et pourquoi l’innovation a eu tendance, ces derniers temps, à ralentir. Ce qu’il faut craindre, écrivent-ils, c’est moins d’être bousculés par le progrès technique, que de voir celui-ci étouffer. En cause, en premier lieu, les changements de nature du capitalisme. Loin d’être la force « révolutionnaire » de destruction créatrice que décrivait Schumpeter avant la guerre, il est devenu hostile au risque et timoré. Il ne se renouvelle pas. En Suède, sur les 50 plus grandes entreprises, 30 ont été fondées avant le début de la Première guerre mondiale et les 20 autres avant 1970…

"Capitalisme aux cheveux gris"

Pourquoi ? Parce que les capitaux sont désormais entre les mains de fonds de pension et de fonds souverains qui détestent par-dessus tout la prise de risque. Et pour cause, ils sont destinés à financer des retraites. Ce « capitalisme aux cheveux gris » veut des rendements sûrs et immédiats. Il ne favorise ni les investissements de long terme, ni la recherche et développement.

La mondialisation, dans un premier temps, a provoqué une concurrence favorable à l’innovation ; mais elle a conduit à un tel niveau de spécialisation des pays dans la chaîne de valeur qu’il est devenu très difficile et coûteux, aux nouveaux venus, de s’y faire une place.

Enfin, et là, vous y pouvez quelque chose, Monsieur le président, la manie régulatrice décourage les nouveaux entrants. Souvent, ces normes sont adoptées sur la pression des grosses entreprises auxquelles elles sont bien adaptées, afin d’empêcher la concurrence de jeunes pousses... Le principe de précaution est utilisé, dans bien des cas, comme un frein à l’innovation. Si nos ancêtres l’avaient connu, ils n’auraient jamais laissé construire des automobiles. Et encore moins des aéroplanes…

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