La peur bonne ou mauvaise conseillère ?

La peur bonne ou mauvaise conseillère ?
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Avec
  • Jean De Kervasdoué Titulaire de la chaire d’économie et de gestion des services de santé du conservatoire national des arts et métiers (CNAM).
  • Yannick Barthe Sociologue
  • Alain Lipietz Économiste et homme politique, député européen de 1999 à 2009, membre du parti Europe Écologie Les Verts - EELV

L’aversion au risque, propre aux sociétés européennes, serait-elle l’effet de leur vieillissement ? Aux temps où l’Europe était encore jeune, notre culture accueillait avec enthousiasme toute innovation au point d’avoir fait du Progrès une espèce de religion. Est-ce parce que l’âge médian de nos populations flirte avec les quarante ans que nous en sommes venus à réclamer désormais la Prudence et la Précaution ? « Au fatalisme du meilleur a succédé le fatalisme du pire », écrivait récemment Dominique Lecourt dans un ouvrage intitulé « L’âge de la peur ». Et ce philosophe de dénoncer les « vaticinations tristes sur l’avenir de notre espèce, voire de notre planète », complaisamment répercutées par des média, avides de prédictions catastrophiques.

C’est dans cette direction que vous cherchez à nous entraîner, Jean de Kervasdoué, avec votre essai, « La peur est au-dessus de nos moyens ». Pour vous, pas de problèmes : les pesticides n’ont aucun rapport avec la mortalité des abeilles, pas plus que les antennes relais de nos téléphones n’ont d’effet détectable sur notre santé, et si la moitié des espèces vivantes auront probablement disparu avant la fin de ce siècle, il n’y a pas lieu de s’en émouvoir particulièrement puisque ce n’est pas la première fois dans l’histoire de la planète... Quant à la surpopulation ou au réchauffement climatique, ce sont des matières où interfèrent tant de facteurs que toute prévision est sujette à caution. Certes, on vous accordera qu’en certaines occasions, le principe de précaution a été poussé, chez nous, jusqu’à la paranoïa : la vaccination contre le virus H1N1 nous a coûté plus d’un milliard qui auraient pu être mieux dépensés dans les hôpitaux ; les dix jours de fermeture des aéroports européens suite à l’éruption du volcan islandais ont coûté 5 milliards d’euros à l’économie européenne - qui n’avait pas besoin de ça. Mais ne poussez-vous pas le bouchon un peu loin lorsque vous mettez en cause le système européen de protection contre les substances chimiques REACH ou les mesures françaises de protection des aliments au nom de la compétitivité économique ? La protection des consommateurs ne mérite-t-elle pas quelques sacrifices financiers ? L’optimisme béat qui a longtemps été la marque de la pensée progressiste est-elle encore de saison ? En un mot, la peur n’est-elle pas meilleure conseillère que l’aveuglement aux conséquences ?

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