80 % des Américains sont persuadés que leurs enfants vivront au moins aussi bien qu'eux. En France, ce taux tombe à 34 %. Pour les milieux populaires, comme pour les classes moyennes, « la société est animée d'une puissante force de gravité qui tire vers le bas », disent Philippe Guibert et Alain Mergier, dans leur essai « Le descenseur social » paru chez Plon, dans la collection de la Fondation Jean-Jaurès. La France des Trente Glorieuses a caressé l'utopie d'une fusion de toutes les couches sociales au sein d'une grande classe moyenne de salariés petits propriétaires, bien protégés des aléas de la vie par un système sans failles de protection sociale. Ce rêve a du plomb dans l'aile. Le mouvement général d'ascension qui faisait que chaque catégorie de Français regardait vers la couche sociale immédiatement supérieure - parce qu'elle avait la conviction que ses enfants en feraient partie, ce mouvement s'est inversé. Les filets d'un système de protection sociale, inventé par et pour des salariés à plein temps, laissent passer entre leurs mailles un nombre toujours croissante de personnes. Dans le même temps, et ce n'est pas un hasard, une certaine figure d'ouvrier est en voie d'extinction. Les grandes concentrations de travailleurs industriels peu qualifiés que rassemblaient la sidérurgie, l'automobile, ou l'électro-ménager, sur des sites immenses, tels que l'île Seguin, ferment les unes après les autre. Mais un nouveau « prolétariat des services » a fait son apparition dans les transports, l'entretien, le commerce. Ils travaillent souvent pour des PME sous-traitantes de grands groupes qui ont préféré externalisé ces services. Ils sont terriblement précaires, leurs revenus sont très médiocres, ils sont les principales victimes des violences. Et surtout : leurs chances d'en sortir « par le haut » ne cessent de s'amenuiser. Ce qui les guette, ce n'est pas l'accès à la classe moyenne pour leurs enfants, comme ce fut le cas des ouvriers de l'industrie durant les Trente Glorieuses, mais l'aspiration dans la spirale du chômage et de la misère. Comment s'étonner que ce soit chez eux que domine le vote protestataire, en particulier au profit du Front National ?
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