Le procès de l'amiante aura-t-il lieu ?

Des associations d'aide aux victimes de l'amiante espèrent réunir des milliers de personnes lors d'un procès des responsables qui pourrait se tenir d'ici un ou deux ans.
Des associations d'aide aux victimes de l'amiante espèrent réunir des milliers de personnes lors d'un procès des responsables qui pourrait se tenir d'ici un ou deux ans. ©AFP - CHARLY TRIBALLEAU
Des associations d'aide aux victimes de l'amiante espèrent réunir des milliers de personnes lors d'un procès des responsables qui pourrait se tenir d'ici un ou deux ans. ©AFP - CHARLY TRIBALLEAU
Des associations d'aide aux victimes de l'amiante espèrent réunir des milliers de personnes lors d'un procès des responsables qui pourrait se tenir d'ici un ou deux ans. ©AFP - CHARLY TRIBALLEAU
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En France, 10 personnes meurent chaque jour à cause de l’amiante, selon les associations de victimes. 20 ans après son interdiction, 23 ans après le dépôt des premières plaintes, un grand procès pénal de l’amiante va-t-il enfin avoir lieu ?

Avec
  • Michel Parigot Fondateur et vice-président de l'Association nationale des victimes de l'amiante et autres polluants et président du Comité anti-amiante Jussieu, président de l'association Coronavictimes
  • Christian Hutin Médecin généraliste à Saint-Pol-Sur-Mer, député du Nord, président du groupe d’études « Amiante » à l'Assemblée nationale
  • Marie-Odile Bertella-Geffroy Juge d’instruction au pôle de santé publique au tribunal de grande instance de Paris

La question que nous posons ce soir n’est pas une question originale. Ce qui est aberrant, c’est qu’on soit encore en situation de la poser. Car plus de 20 ans après l’interdiction de l’amiante en France, 23 ans après le dépôt des premières plaintes par des victimes, et alors que les maladies liées à l’exposition à ce produit ont fait, à ce jour, plusieurs dizaines de milliers de morts, le grand procès pénal de l’amiante n’a toujours pas eu lieu, et n’est toujours pas programmé. Des procédures judiciaires ont certes été lancées, des condamnations ont été prononcées.

"En France" écrit le journaliste Roger Lenglet, dans son "Livre noir de l’amiante", "les procès déjà gagnés au civil et au pénal se dénombrent par dizaines de milliers". Sauf que ceux qui étaient en responsabilité, industriels et décideurs politiques, n’ont pas été inquiétés.

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C’est pour obtenir ce grand procès qu’une des associations de victimes de l’amiante vient de décider d’une nouvelle stratégie judiciaire : la citation directe. Cette procédure permet de saisir directement un tribunal, sans passer par la case de l’instruction. L’idée est de rassembler un maximum de victimes, plutôt que d’agir de manière éparpillée.

"Le procès de l’amiante aura-t-il lieu ?"

Extraits de l'émission :

Michel Parigot : 

On a encore des expositions dans le secteur du bâtiment notamment et on aura encore des victimes. Mais on n'est plus dans la même ampleur. Il y a eu un premier changement avec la première réglementation en 1977 qui malheureusement était lacunaire et n'a pas été appliquée mais qui a déjà diminué les expositions. Et avec la réglementation de 1996 et les différentes améliorations qui ont été faites ensuite, on n’est plus dans la même situation maintenant. Mais ça n'empêche pas pour le passé !
Ce qu’on regarde d'un point de vue judiciaire c'est essentiellement la période 1980 - 1996. C'est cette période où on connaissait tous les risques, pas seulement les pathologies mais vraiment combien on allait faire de victimes. Et plutôt que de prendre la voie d'un contrôle strict, ce qui a été fait dans les pays voisins, il a été décidé à ce moment-là de continuer à utiliser l’amiante et de ne pas prendre les mesures de précautions.

Christian Hutin :

Sur les produits phytosanitaires agricoles, on a essayé de déposer un amendement, lors de la loi sur l’agroalimentaire, demandant un fond d’indemnisation pour les victimes et il a été refusé. Donc au travers de l’amiante, s’il y a un procès, il y a d’autres produits dont on parle aujourd’hui mais sur lesquels on essaie de mettre une chape de plomb : perturbateurs endocriniens, produits de l’agriculture etc. qui vont être concernés. Donc tout le monde se ligue pour que le procès de l’amiante, qui sera le plus emblématique et le plus grave, ne fasse pas trop de vagues, qu’il n’y ait pas à nouveau des fonds d’indemnisation et qu’on ne cherche pas des coupables ailleurs sur un certain nombre d’entrepreneur qui aurait peu fait attention aux problèmes comme le bisphénol par exemple. 

Marie-Odile Bertella-Geffroy :

Vous savez la justice en France, elle n’est pas indépendante ! Le parquet est soumis au ministère de la justice. Regardez le cas de l’Italie : j’étais en relation étroite avec le procureur de Turin qui avait 5 usines eternit. J’avais aussi 5 usines eternit avec différents PDG. Lui il a mis les moyens à sa disposition, il a pris des experts, des magistrats, des enquêteurs et il a fini son dossier en 4 ans. C’est passé à la cour d’assise, des peines de 18 à 20 ans pour les PDG, et  la cour de cassation pour un motif de prescription a annulé. Moi je n’ai même pas pu faire ce renvoi des PDG. En France, le politique a la main sur la justice. S’il y avait une réforme à faire  c’est faire la réforme de l’indépendance totale de la justice parce que même les juges du siège peuvent ne pas être indépendants car leur carrière dépend du parquet.

Articles : 

Procès de l’amiante : la « fibre tueuse » en quatre questions : par Cyrielle Chazal pour Le Monde, le 11/05/2018.

Amiante : les victimes veulent faire tomber les responsables nationaux : par Coralie Dreyer pour Dernières Nouvelles d'Alsaces, le 08/01/2019.

[abonnés] Amiante : l’espoir d’un procès pénal relancé: par Patricia Jolly pour Le Monde, le 08/01/2019.

Tribunes : 

"Monsieur le président, les dirigeants qui n'ont rien fait contre l'amiante doivent être jugés" : par Christian Hutin pour Marianne, le 07/03/2018.

Liens : 

Association nationale des Victimes de l'Amiante et autres polluants : site officiel de l'association. 

Le drame de l'amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l'avenir : rapport de Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy au nom de la mission commune d'information du Sénat, le 26/10/2005.

Du Grain à moudre
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