Quelques lumières sur le Da Vinci Code

France Culture
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Au coeur de tout grand mythe gît une part de vérité. Le succès planétaire du Da Vinci Code de Dan Brown ne fait pas que recycler les délires de Pierre Plantard, ce mythomane fascisant qui se faisait passer pour le dernier descendant des Mérovingiens et prétendait connaître l'origine du trésor trouvé dans son église par le curé de Rennes le Château. Dans « Sociétés secrètes », Alexandre Adler nous entraîne à la recherche d'un réseau ésotérique européen qui partirait des templiers, frottés de mystique musulmane jusqu'à une franc-maçonnerie spiritualiste, en passant par la Rose-Croix et autres jansénistes. Ce qui aurait fédéré tous ces courants chrétiens plus ou moins syncrétiques ? Une même volonté d'en découdre avec un catholicisme de combat, ultra-montain et autoritaire, incarné par les jésuites les Habsbourg et porté à incandescence durant la Contre-Réforme. C'est du côté de ces chrétiens de Renaissance, vaguement regroupés par une même quête mystique dont le combat de Jacob et de l'ange de Delacroix nous livrerait l'ultime testament, qu'il faudrait chercher les véritables origines du mythe des « Illuminati » sur lesquels Dan Brown a fait son beurre. Rarement en tous cas autant d'érudition aura été déployée pour éclairer les vrais enjeux intellectuels de ce qui reste... un best-seller bien torché et bourré d'emprunts. Reste la question de l'ingrédient basique de cette recette qui marche : le conspirationnisme. L'idée que les choses « ne se produisent pas par hasard ». Qu'il y a des « forces secrètes » qui « tirent les ficelles ». L'état du monde est le fruit de rapports de forces complexes et difficiles à analyser. Il est intellectuellement plus facile de l'attribuer à l'action de forces obscures disposant d'un pouvoir absolu. « Sages de Sion », Opus Dei, francs-maçons, CIA, synarchie... La propagande totalitaire, disait Hannah Arendt, a recours à des théories fumeuses expliquant la totalité des accidents de l'histoire par un mystère central. Ces théories répondent bien aux aspirations des masses modernes, qui "ne font confiance ni à leurs yeux ni à leurs oreilles, mais à leur seule imagination, qui se laissent séduire par tout ce qui est à la fois universel et cohérent en soi-même." (Le système totalitaire p. 78) La cohérence de la fiction s'avère plus convaincante que le chaos que présente le réel. Car "la fuite des masses devant la réalité est une condamnation du monde dans lequel elles sont contraintes de vivre et ne peuvent subsister, puisque la contingence en est devenue la loi suprême et que les être humains ont besoin de transformer constamment les conditions chaotiques et accidentelles en un schéma d'une relative cohérence." (p. 79) Le paradoxe voudrait donc que le roman de Dan Brown ait puisé dans une tradition intellectuelle émancipatrice les ingrédients d'une fiction conspirationniste.

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