Un libéralisme de gauche est -il possible ?

France Culture
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Avec
  • Pascal Salin Professeur émérite à l'Université Paris -Dauphine
  • Pierre Zaoui philosophe, maître de conférences à l'Université de Paris, membre du Centre international d’étude de la philosophie contemporaine (CIEPFC)
  • Roger Martelli Historien du communisme, co-directeur de la revue Regards et ancien membre de la direction du Parti communiste français
  • Thierry LETERRE

Le débat est récurrent au sein de la gauche française. Il remonte au moins aux controverses entre Jules Guesde et Jean Jaurès. Le libéralisme fait-il partie de l'acquis de la gauche ou bien est-il l'idéologie même de l'adversaire de classe ? Ce débat, il refait surface à intervalles plus ou moins réguliers. Les radicaux, fondateurs de la III° République, comme Léon Bourgeois, furent des libéraux. Les tenants de la « deuxième gauche », partisans de l'émancipation de la société civile et promoteurs de sa diversité, le furent également, derrière Michel Rocard, dans les années 1970/1980. Rocard persiste et signe, en écrivant récemment : « Je suis un libéral et tout le mouvement social-démocrate du XIX° siècle fut à la pointe du mouvement libéral. » Et l'ancien premier ministre de saluer le « très important livre de Monique Canto Sperber, « Les règles de la liberté » qui entend fonder en théorie un social-libéralisme pour le XXI° siècle, en s'appuyant sur toute une tradition de socialisme libéral, extraordinairement méconnue, voire refoulée, dans notre pays. De son côté, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, Philippe Val, s'enflammait récemment dans un éditorial du 23 septembre 2007, « on est fatigué de le rappeler, mais la gauche est libérale. C'est son identité, c'est à ça qu'on la reconnaît. [...] Il faut absolument récupérer ce mot de libéral que la gauche s'est fait voler par la droite. » Le social-libéralisme ou socialisme libéral peut prétendre à un important patrimoine intellectuel et théorique, y compris en France, avec des penseurs du calibre d'André Halévy, de l'influence de Alain. Mais c'est surtout en Italie que des socialistes, confrontés à la tyrannie fasciste, jugèrent indispensables de reconsidérer l'ancienne opposition de la gauche au mouvement bourgeois des libertés individuelles. Les frères Rosselli, assassinés par la Cagoule sur ordre de Mussolini avaient proclamé, en exil, la nécessité d'un « socialisme libéral ». Après la guerre, le Parti d'Action incarna cette ligne politique, dont le grand philosophe Norberto Bobbio fut le digne continuateur dans le champ théorique. La science politique anglo-saxonne est fortement redevable à de grand penseurs libéraux de gauche, comme John Rawls, Michael Walzer, Amartya Sen ou Anthony Giddens. Ces dernières années, en France aussi, une mouvance libérale de gauche se cherche autour d'intellectuels tels que Monique Canto Sperber, Nicolas Tenzer, Laurent Bouvet ou Zaki Laïdi. Elle tente de se regrouper politiquement autour de personnalités comme Jean-Marie Bockel, Daniel Cohn Bendit ou les Gracques. D'où vient alors que le mot « libéral » soit devenu, dans les média français qui font profession de penser et de donner le ton, une espèce d'insulte, un synonyme de propagandiste de la loi de la jungle et d'ennemi du genre humain ?

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