Afghanistan : une économie de la déroute : épisode • 2/3 du podcast Des États en faillite

Les Talibans sont aujourd'hui les maitres d'un pays au bord de la crise humanitaire, avec 95% de la population afghane qui ne dispose pas assez de nourritures.
Les Talibans sont aujourd'hui les maitres d'un pays au bord de la crise humanitaire, avec 95% de la population afghane qui ne dispose pas assez de nourritures. ©Getty - Scott Peterson
Les Talibans sont aujourd'hui les maitres d'un pays au bord de la crise humanitaire, avec 95% de la population afghane qui ne dispose pas assez de nourritures. ©Getty - Scott Peterson
Les Talibans sont aujourd'hui les maitres d'un pays au bord de la crise humanitaire, avec 95% de la population afghane qui ne dispose pas assez de nourritures. ©Getty - Scott Peterson
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Aides au développement coupées, avoirs bancaires gelés : alors que les pourparlers entre les Talibans et la communauté internationale semblent au point mort, l'économie afghane continue de plonger dans l'inflation, le chômage et la misère. Tandis que son sous-sol attise les convoitises.

Avec
  • Margaux Benn Journaliste indépendante qui travaille notamment avec Arte, Le Figaro, ou France 2
  • Jean-Luc Racine Directeur de recherche au CNRS et chercheur senior au think tank Asia Centre

C'est un triste anniversaire pour l'Afghanistan, celui des six mois de l'entrée des Talibans dans Kaboul. Depuis leur arrivée au pouvoir, l'économie, déjà fragile, s'est effondrée. Selon l'ONU, plus de la moitié de la population afghane, soit 23 millions de personnes, est aujourd'hui menacée par la famine. Comment relever un pays ruiné? Que faut-il attendre des Talibans? Qui sauvera l'état afghan de l'effondrement?  

Pour en parler, Tiphaine de Rocquigny reçoit Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS, chercheur senior au think tank Asia Centre et Margaux Benn, journaliste au Figaro. 

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Une économie aux mains des talibans 

Selon Margaux Benn, "la situation humanitaire en Afghanistan est juste catastrophique car durant l'été, beaucoup d'habitants des campagnes ont fui leurs terres face l'avancée talibane pour se réfugier dans des camps de fortune à Kaboul; camps où les conditions de vie sont extrêmement difficiles. De plus, bien que le pays était évidemment très pauvre avant l'arrivée des Talibans, leur prise de pouvoir a constitué un choc majeur qui a entrainé une grande partie de la classe moyenne de la capitale dans la pauvreté. Il faut donc savoir qu'on a en ce moment, en Afghanistan, la plus grave crise humanitaire au monde. En moyenne, les entreprises ont renvoyé 60% de leurs employés, le prix des produits de base a augmenté de 40%, plus de la moitié de la population a besoin d'une aide humanitaire selon l'ONU et 90% des afghans se situent sous le seuil de pauvreté. Par ailleurs, 1/3 des familles afghanes ne disposent de plus aucune ressource financière. Cette catastrophe n'est pas apparu du jour au lendemain, étant donné que l'Afghanistan en était déjà à sa troisième période de sécheresse et était  le 7ème pays le plus pauvre au monde, mais celle-ci s'est accentuée à cause des sanctions mis en place contre le pays, suite à l'accession des Talibans au pouvoir". 

Pour Jean-Luc Racine, "il faut commencer par rappeler qu'avant la prise de pouvoir des Talibans, la République afghane était un état rentier. Dans le cas de l'Afghanistan, la rente était synonyme d'aides internationales qui représentait jusqu'à 80% de son budget annuel. En 2020, le pays a bénéficié de plus de 8 milliards de dollars d'aides, ce qui représente 40% de son PIB et 70% des dépenses publiques. Avec l'arrivée des Talibans, tout ce système s'arrête du jour au lendemain. L'arrêt de ces contributions internationales porte ainsi un coup fatal à l'Afghanistan dont l'économie s'effondre à tous égards, tout comme la situation bancaire et humanitaire". 

Selon Margaux Benn, "un autre élément absolument central pour expliquer la crise afghane réside dans le gel des avoirs de la Banque centrale, la privant ainsi de devises fortes. Suite à leur débâcle militaire, les Etats-Unis ont souhaité répondre de manière forte au nouveau pouvoir en gelant les avoirs de la Banque centrale et en soumettant le pays à des sanctions économiques. Ils ont également annoncé, de manière symbolique, que les 7 milliards qui appartenaient à la Banque centrale seraient redistribués aux familles des victimes du 11 septembre. Aujourd'hui, un grand nombre d'institutions, comme l'ONU, tentent d'infléchir la position américaine afin que des activités humanitaires puissent bénéficier de fonds nécessaires". 

Par ailleurs, il est important de préciser, pour Margaux Benn, "la corruption endémique qui caractérisait la gouvernance de l'ancien président Ashraf Ghani a été un des facteurs qui a favorisé la prise de pouvoir des Talibans. Il s'agit de l'une des raisons fondamentales qui a conduit, dans de nombreuses provinces, à un certain désengagement de l'armée régulière. L'état central afghan était tellement perçu comme une instance corrompue, comme vendue aux américains et comme profondément inégalitaire, puisque l'argent du développement était surtout centré sur les villes, que de nombreux soldats n'étaient pas incités à se battre pour lui". 

L’Afghanistan : nouvelle terre de jeu commercial pour les puissances internationales ?

La Chine s'intéresse aux potentiels miniers de l'Afghanistan car le sous-sol regorge de métaux, et notamment de métaux essentiels à l'heure de la transition énergétique comme le lithium.

Selon Margaux Benn, "un rapport américain datant de 2010 avait estimé la valeur des minerais présents sous le sol afghan à près de 1000 milliards de dollars. Ce nombre pourrait, de nos jours être largement revu à la hausse car des études récentes estiment que l'on pourrait retrouver, dans le sol afghan, plus de lithium que dans la plus grande réserve mondiale située en Bolivie. On note également que l'Afghanistan dispose de plus de 60 millions de tonnes de cuivre, ce qui est un atout majeur dans un contexte d'augmentation de la demande mondiale pour cette ressource, 1,4 millions de tonnes de terres rares, 2 milliards de tonnes de fer, de platine, d'argent et d'or. Ce que l'on voit en ce moment, c'est que la Chine compte bien occuper le vide laissé par les Etats-Unis avec, fin 2021, des représentants du secteur minier chinois ont ainsi rendu visite à des cadres talibans à Kaboul".

Selon Jean-Luc Racine, "la Chine a trois objectifs. D'un coté, elle se place déjà aux premières places dans la course pour le contrôle des ressources afghanes. D'un autre coté, dans le cadre des Routes de la soie, il y a un début de construction de voie ferrée qui relie l'Iran à la Chine en passant par le nord de l'Afghanistan. Enfin, il y a une réelle volonté, de la part des autorités chinoises, de connecter le territoire afghan au corridor économique sino-pakistanais. A coté de ces considérations économiques, il y a aussi un réel enjeu de sécurité géopolitique étant donné que l'Afghanistan a souvent servi de base arrière à des combattants ouïghoures qui luttent contre le gouvernement chinois".  

Selon Jean-Luc Racine, "l'Afghanistan est, d'un point de vue géographique, située au carrefour stratégique de nombreuses routes commerciales. Ce sont moins les ressources propres du pays, que cette position de carrefour, de pivot central qui ont attiré les grandes puissances étrangères. D'Alexandre le Grand aux empires européens, en passant par les grandes dynasties perses, tous avaient compris l'importance majeure du pays et la nécessité de le faire entrer dans sa zone d'influence géopolitique".   

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