Aux sources du nationalisme économique : épisode 1/3 du podcast Economie indienne : une histoire en héritage

Gandhi lors de la marche du sel, 1930
Gandhi lors de la marche du sel, 1930 ©Getty - Hulton Deutsch
Gandhi lors de la marche du sel, 1930 ©Getty - Hulton Deutsch
Gandhi lors de la marche du sel, 1930 ©Getty - Hulton Deutsch
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Des velléités indépendantistes pendant la période coloniale à l’économie planifiée après l'indépendance en 1947, l'Inde a du reprendre le pouvoir sur sa production nationale. A partir des années 1980, elle invente un modèle conciliant priorité nationale et libéralisation...

Avec
  • Yves-Marie Rault Chodankar Attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université d’Artois, chercheur associé au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA)
  • Basudeb Chaudhuri Économiste, chercheur associé au Centre de l'Inde et de l'Asie du Sud, unité mixte de recherche du CNRS et de l'EHESS

Alors que la Russie et les pays opposés à Moscou se disputent le soutien diplomatique de l'Inde, nous nous penchons cette semaine sur l'économie indienne, devenue en deux décennies l'une des plus puissantes au monde. La libéralisation amorcée dans les années '80 a fait entrer l'Inde de plein pied dans la mondialisation. Comment définir ce modèle économique qui allie ouverture à l'étranger et défense de la souveraineté ? Quel héritage du passé colonial dans la doctrine économique de l'Inde contemporaine ?

Tiphaine de Rocquigny reçoit Basudeb Chaudhuri, économiste, chercheur associé au Centre de l'Inde et de l'Asie du Sud, unité mixte de recherche du CNRS et de l'EHESS, et Yves-Marie Rault-Chodankar , géographe, post-doctorant au Centre Population et Développement et à l’Institut Francilien Recherche Innovation et Société.

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Comme le précise Yves-Marie Rault-Chodankar, "Il est difficile, quand on parle de l'Inde, de distinguer les nationalismes économiques, politiques et culturels, qui sont imbriqués. L'Inde reste un pays jeune qui s'est libéré du colon britannique en 1947 et a longtemps construit son indépendance. Ces velléités indépendantistes, qui ont pendant longtemps protégé l'économie indienne, se transforment. L'Inde s'ouvre à la mondialisation dans les années 1980. On arrive dans une nouvelle forme de nationalisme économique, qui ne passe plus nécessairement par des mesures classiques de restriction des mesures à l'importation pour protéger l'économie locale."

Des velléités indépendantistes à l’économie planifiée : reprendre le pouvoir sur la production indienne (XIXe - 1980)

Le nationalisme économique en Inde remonte à la période coloniale. Les Anglais opèrent une transformation de la structure de la production en Inde. Pour Basudeb Chaudhuri :"Il y a le transfert de l'extraction des richesses, et puis il y a une transformation de la structure de la production indienne. Comme le Royaume-Uni développe son industrie textile, les manufactures, la petite industrie et l'artisanat de l'Inde sont détruits. L'Inde transfère des biens primaires vers le Royaume-Uni, qui exporte quant à elle des biens manufacturés vers l'Inde et le reste de ses colonies". Fait suite le mouvement du Swadeshi, un mouvement qui veut dire en hindi autosuffisance. D'après Yves-Marie Rault-Chodankar, "il y a un premier mouvement de révolte ouvrière autour du Swadeshi. Mais les élites anglicisés n'arrivent pas à capitaliser sur ce mouvement ouvrier et finalement, le mouvement reste très diffus". Le mouvement est ensuite repris et théorisé par Gandhi ; il se saisit du rouet qui devient symbole de l'Indépendance.

Après l'Indépendance en 1947, le gouvernement indien hésite sur le rôle à donner aux entreprises étrangères dans l'économie. Pour lutter contre la dépendance économique, Nehru lance une politique d'autonomisation à l'instar d'autres pays que l'on qualifiera de "Tiers-Monde". Selon Basudeb Chaudhuri, "Nehru avaient les mains libres pour amener l'Inde dans la direction qu'il voulait. Il pousse l'industrialisation avec une planification sur des périodes de cinq ans. Curieusement, le premier plan, aussi appelé le "plan de Mumbai ou Bombay", était  construit par les grands capitaines d'industrie indien Tata ou Birla, qui ont donné une orientation avec une économie de marché et l'économie privée. Mais à partir du deuxième plan, en 1956, on prend la direction de l'économie socialisante, totalement concentrée sur l'industrie plutôt orientés vers les investissements, l'acier, le textile, la pharmacie, pour construire les industries du futur." Comme le souligne Yves-Marie Rault-Chodankar, "après 1952, l'Inde a une croissance économique de 4 % par an environ, ce qui est relativement faible. Ca a été moqué par un certain nombre d'observateurs comme le "Hindou rate of growth", soit le "taux de croissance hindou" qui est un terme moqueur, sans doute issu aussi d'une sociologie wébérienne qui a tendance à assimiler des croyances religieuses à des capacités et des pratiques économiques. Pendant longtemps, on a ce taux de croissance qui certes n'est pas fort, mais qui permet à une classe moyenne d'émerger en Inde."

Depuis les années 1980 - 1990 : concilier nationalisme économique, libéralisme, et compétitivité

A partir de 1991, après une crise de la guerre du Golfe et la chute de l'URSS, l'Inde s'ouvre à la mondialisation. Pour Yves-Marie Rault-Chodankar, "le secteur textile est encore extrêmement protégé. Par exemple, il est toujours interdit d'importer en Inde des vêtements de seconde main. Il y a énormément de taxes à l'importation. Alors que les exportations, au contraire, vont elles être encouragées".

Basudeb Chaudhuri résume que : "globalement, sur une période de presque 20 ans, l'Inde va maintenir un taux de croissance qui excède 5 %, entre 5% et 7% en moyenne, ce qui fait beaucoup. Il y a une vraie transformation de l'Inde et une diminution très importante de la pauvreté"

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