Compositeurs de génie ou chanteurs de province, les musiciens de l'âge des Lumières sont pleinement inscrits dans l'espace économique et social. Comment s'est institutionnalisé le métier de musicien ?
- Solveig Serre Chercheuse au CNRS (CESR/CMBV), co-porteuse, avec Luc Robène, du projet de recherche PIND (Punk Is Not Dead, ene histoire de la scène punk en France, 1976-2016)
L'âge des Lumières se caractérise par des bouleversements sociaux de divers ordres : la presse se développe, le progrès scientifique est une fin en soi, et la croissance économique influence les modes de consommation. La musique est marquée par ces transformations sociales : les classes aisées en redemandent, elle s'écoute pour elle-même au concert, au théâtre ou à l'Opéra, et n'a plus pour seule fonction d'animer cérémonies et autres liturgies. Dès lors, être musicien devient progressivement un métier. Comment les musiciens voient-ils leur condition évoluer au cours du siècle des Lumières ?
Pour en parler, Tiphaine de Rocquigny reçoit Solveig Serre, historienne, musicologue, chercheuse au CNRS et spécialiste de l’Opéra de Paris, et Georges Escoffier, économiste et sociologue de l’histoire de la musique.
Musique et pouvoir : les musiciens et les institutions
Selon Solveig Serre, « la musique à la Cour est extrêmement bien structurée. Elle est omniprésente et accompagne à la fois l’ordinaire et l’extraordinaire et sert à tous : aux cérémonies religieuses, aux cérémonies équestres, aux divertissements. La musique du roi s’organise sous Louis XIII et s’achève d’être organisée sous Louis XIV. Elle est au début organisée en trois grandes catégories : la musique de l’écurie, la musique de la chapelle et la musique de la chambre. Chacune a des fonctions spécifiques et tout le système reste très stable jusqu’en 1762 car cela coûte très cher et il faut faire une refonte pour économiser. C’est un système extrêmement stable et bien codifié ».
Pour Georges Escoffier, « ces gens appartiennent à une maison au sens de domus c’est pour cela qu’on parle de domestiques, qu’il ne faut pas confondre avec la domesticité de la bonne bretonne du début du XXe siècle, cela n’a rien à voir. Ce sont des gens qui portent l’uniforme, la l’ivraie, et l’honneur de la maison. On peut parler de patronage. Ce sont des gens qui, dans la grille d’emploi, sont catégorisés comme valet, mais jouent du hautbois, jouent du violon, avec le prince le dimanche après-midi ». « A la fin de l’Ancien-Régime, émerge un salariat, beaucoup plus intéressant pour l’employeur. Au lieu de loger, nourrir et habiller jusqu’à la fin de sa vie un musicien, on va le payer à la tâche, pour un nombre d’heure, un service. Et comme au XVIIIème, la rente agricole est en chute, les grandes maisons ont besoin de faire des économies ». Selon lui, « on est dans une logique d’appartenance ».
Les mutations des pratiques de la musique face à l’essor de la bourgeoisie : vers la commercialisation
Pour Solveig Serre, « dans la seconde moitié du XVIIIème, l’Opéra, qui était au départ une institution royale, devient une institution populaire, aimée des parisiens. Le terme d’écosystème est très approprié. C’est une masse salariale, pour faire les costumes, les décors ».
Selon Georges Escoffier « la question de la valeur est liée à la marchandisation. Les musiciens les plus célèbres, à quoi le mesurer ? Par la presse qui annonce les publications nouvelles. Quelqu’un qui commercialise de nombreuses partitions est un musicien important ». Pour lui, « les grandes vedettes parisiennes, en instrumentistes, vont pouvoir trouver dans le nouveau conservatoire en 1795 des postes permanents ce qui est une nouveauté extraordinaire pour eux puisque c’est l’Etat désormais qui est leur employeur. Il les salarie sur l’idée du prestige de la Nation ».
Références sonores
Extrait de Tous les matins du monde, un film de Alain Corneau (1991)
Lecture d’une lettre d’un organiste du Puy (1791) par Mathilde Thon Fourcade sur musique Tapis Dialogue pour orgue interprété par Andre Isoir et composé par Nicolas de Grigny
Lecture d’un extrait de Tableau de Paris, de Louis-Sébastien Mercier (1772) par Tiphaine de Rocquigny sur musique tapis Ouverture de Didon et Enée composé par Purcell et interprété par Englis opera group orchestra
Extrait du film Amadeus de Milos Forman (1984)
Références musicales
Big Big Baby - King Hannah (2022)
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