

Le règne d'Elizabeth Ière (1558-1603) se construit au cœur d'une époque charnière de bouleversements historiques, militaires et culturels. Souvent présenté comme un "âge d'or", le XVIe siècle anglais constitue pourtant un moment de grandes difficultés, entre montée des inégalités et inflation.
Elisabeth Ière est une des personnalités historiques et politiques qui suscitent le plus de passions au sein des champs d'études consacrés à la monarchie anglaise. Cette popularité tient du fait que son arrivée au pouvoir en 1558 s'inscrit dans une époque de profondes modifications économiques, sociales et géopolitiques au sein de l'ensemble du continent européen.
Cependant, d'un point de vue économique, Elisabeth Tudor, fille d'Henri VIII, hérite à la mort de son père, d'une Angleterre en pleine crise financière et budgétaire. Roi bâtisseur et guerrier, Henri VIII a multiplié les dépenses entre 1520 et 1547, ce qui conduit à une fragilisation durable du Trésor; le tout dans un contexte où les recettes de l'Etat [droits de douane, terres royales, impôts féodaux] diminuent drastiquement sous l'effet de l'inflation et de la corruption.
C'est un roi qui, à bien des égards, est parfois considéré comme décalé par rapport à son temps. Effectivement, il rêve d'une gloire française, c'est à dire de réactiver les logiques de la Guerre de Cent Ans alors que l'Angleterre n'a déjà plus tous les moyens de ses ambitions. Dans sa concurrence avec François Ier, il veut briller et se présenter comme un véritable prince de la Renaissance. Cette gloire, cette volonté de laisser une trace dans l'histoire passe donc par l'art et l'architecture. Cependant, Henri VIII se soucie peu de savoir quel est réellement l'état économique du pays. Marie-Céline Daniel
Dans un moment de guerres contre le Royaume de France, Henri VIII décide toutefois d'entamer de véritables réformes financières et monétaires en vue de maintenir le rang géopolitique majeur de l'Angleterre en Europe au détriment de son ennemi héréditaire.
Ainsi, son conseiller économique Thomas Wolsey introduit une nouvelle taxe, le subside, levé en fonction du revenu réel des contribuables, mais initie surtout les premières politiques monétaires modernes en dévaluant la livre afin de réduire le niveau de l'inflation.
Cependant, la poursuite des guerres extérieures [dont les coûts sont estimés à plus de 2 135 000 livres] et certaines manipulations financières autour de la réduction du poids en métaux précieux des pièces conduisent à une véritable crise financière dans les années 1550.
Henri VIII a beaucoup dépensé pour financer les guerres et a surtout été très généreux avec ses proches qui ont alors bénéficié de la vente des biens monastiques. Par la suite, son fils Edouard VI et sa fille Marie Tudor n'ont pas arrangé la situation étant donné qu'ils ont procédé à des dévaluations monétaires très importantes qui ont alors continué à aggraver encore plus la situation du pays. L'Angleterre va alors être contrainte d'emprunter des sommes considérables à la Bourse d'Anvers, à des taux d'intérêts de plus de 15%. Stéphane Jettot
C'est dans ce contexte économique fragile qu'Elisabeth Ière monte sur le trône d'Angleterre. Considérée comme modérée et prudente, son arrivée au pouvoir est souvent vue par les historiens comme un retour à des pratiques anciennes respectueuses de la Res Publica, soit de l'autonomie politique des sujets, imposant alors l'idée d'une véritable "monarchie-républicaine".
Au niveau de la gouvernance du Royaume, Elisabeth s'entoure d'un nombre restreint de conseillers de confiance, tout en s'assurant la fidélité des élites foncières et marchandes en procédant à des ventes de terres royales.
Elle a très clairement tiré des leçons des règnes précédents, à l'image de son frère et de sa sœur dont les règnes ont été déstabilisé par la question religieuse. Marie Tudor avait également épousé Philippe II d'Espagne, ce qui avait alors conduit l'Angleterre à suivre l'Espagne dans une guerre un peu hasardeuse contre la France. Elisabeth va donc tirer de cette expérience là des leçons sur le fait, qu'effectivement, l'inféodation à l'homme, au mari et à l'étranger constituent certainement des choses à éviter. C'est dans cette logique qu'elle décide alors de s'entourer d'un nombre restreint de conseillers de confiance qui vont alors aider la Reine à asseoir son pouvoir et à trouver une forme de paix. Marie-Céline Daniel
Par ailleurs, la Reine décide de sortir l'Angleterre d'une logique de conflits permanents, permettant alors de diminuer le rythme des dépenses. Le mythe de "l'Âge d'or" auquel est rattaché son règne se nourrit de cette période de paix qui, bien que relative, permet à Elisabeth d'entamer des réformes internes fondamentales, notamment autour du dogme religieux. C'est sous le règne que l'Église anglicane, de tradition calviniste, s'impose véritablement.
On peut surement parler d'un âge d'or culturel, même si le terme d'âge d'or reste absolument apocryphe. Aucun des contemporains n'avait l'impression de vivre dans un âge d'or. C'était une période de grands troubles et de grandes inquiétudes. Cependant, au travers de la place majeure de Shakespeare et d'une historiographie protestante qui a voulu voir en Elizabeth, un espèce de moment de suspension, de paix supposée et de prospérité. Marie-Céline Daniel
Cependant, son règne reste pleinement fragilisé par des niveaux d'inflation structurellement importants en Angleterre, avec des prix des denrées agricoles qui ont été multipliés par sept en un siècle et par trois pour ceux des produits industriels.
Bien que cette inflation s'inscrit sur un temps historique relativement important et reste le produit de facteurs multiples [guerres, vente massive des terres dans un contexte de sécularisation des biens du clergé, hausse des prix globale en Europe face aux mutations agricoles et économiques,...], certaines conjonctures intervenant directement au moment du règne d'Elisabeth explique également son amplification.
Dans son second Discourse of the Common Weal of this Realm de 1581, Thomas Smith, secrétaire d'Etat d'Elisabeth, explique que le gonflement de la masse monétaire s'inscrit au cœur des Grandes découvertes étant donné que celles-ci entraînent un afflux des métaux précieux venus des mines du Pérou jusqu'en Europe, au travers de l'or et de l'argent espagnol. Elisabeth se place au centre d'une crise plus globale, dans un contexte de bouleversements commerciaux et anthropologiques liés à l'exploitation de nouvelles terres en Amérique.
La reine tente donc de limiter l'inflation dans un contexte de forte instabilité sociale. La hausse des prix a ainsi conduit à une baisse des rentes pour les propriétaires et à des expropriations d'une part importante de la masse paysanne de leurs fermes, entrainant alors des mouvements de populations massif vers les villes, peu adaptées à ces poussées démographiques majeures.
Par ailleurs, afin d'acheter la loyauté des nobles, Elisabeth va abaisser leurs niveaux d'imposition, entrainant ainsi une augmentation des inégalités sociales malgré la mise en place des premières poor laws, financées par un nouvel impôt et destinées à venir en aide à une population qui vit à plus de 50% dans une situation d'extrême pauvreté.
Cette hausse spectaculaire concerne principalement les prix agricoles. Il s'agit précisément d'une tendance lourde étant donné que sur presque 150 ans, vous avez eu une augmentation de 700% des prix agricoles entre 1540 et 1650. Pour les produits industriels, on est à plus de 300%. Ces niveaux d'inflation vont alors essentiellement toucher les populations rurales, avec un effondrement aussi des salaires agricoles et une considérable augmentation de la pauvreté et des migrations dans le royaume. Stéphane Jettot
Malgré ces problèmes internes, Elisabeth est aussi connue comme la dirigeante qui a placé l'Angleterre au cœur des échanges internationaux et de ce nouvel espace globalisé. Les projets coloniaux sont alors de plus en plus affirmés au travers d'entreprises privées comme celle de Francis Blake et de Walter Raleigh sur la cote-est américaine en 1584, qui prendra le nom de Virginia en l'honneur de la Reine Vierge.
Dans un contexte où la mer devient l'instrument de la puissance géopolitique, Elisabeth favorise alors le développement des navires corsaires ainsi que des compagnies commerciales comme La Compagnie de Moscovie, première compagnie anglaise par action, créée en 1555, La Compagnie du Levant, fondée en 1581 et surtout La Compagnie des Indes Orientales en 1599, qui assurent la domination anglaise sur les mers et permettent de trouver des débouchés aux produits nationaux partout dans le monde.
Prémisses de l'industrialisation et de l'Empire britannique, développement d'une scène artistique et culturelle importante avec la figure de Shakespeare, premières lois sociales en faveur des plus pauvres... Elisabeth, malgré son absence de vision clairement définie de l'économie, a réussi a pleinement intégré le Royaume d'Angleterre au cœur de la Modernité.
Ces monopoles commerciaux vont principalement profiter à l'aristocratie proche d'Elizabeth et aux grandes familles capitalistes de Londres. Cela accentue donc de nouveau la domination économique de Londres, qui contrôle les 2/3 des ressources commerciales du Royaume. Dans un sens, cela va accentuer les inégalités sociales. Mais dans un autre, cela va permettre aux compagnies d'acquérir des reins solides avec une assise financière assez forte. Sur la question de la colonisation, l'Irlande et l'Amérique vont très rapidement être considérés comme des territoires d'exploitation économique. Coloniser va également permettre à l'Angleterre d'etre en concurrence avec les pays catholiques comme l'Espagne ou la France. Par ailleurs, la légitimité de la colonisation est aussi renforcé au travers d'un argument utilitariste étant donné que le "indisciplinés" pourraient être expulsés dans ces territoires, ce qui permettrait de régler certains maux du royaume. Stéphane Jettot
Pour comprendre les évolutions économiques de l'Angleterre sous le règne de la Reine Vierge, nous avons le plaisir de recevoir Stéphane Jettot, maître de conférences en Histoire moderne à l'université à Sorbonne-Université et Marie-Celine Daniel, maître de conférences en civilisation britannique à Sorbonne Université et vice-présidente de Sorbonne Université.
Références sonores
- Extrait du film "“Elizabeth” de Shekhar Kapur avec Cate Blanchett (1988)
- Extrait de la pièce “Elizabeth la femme sans homme” de Roland Bernard, ORTF, 1960
- Lecture d'un extrait de Synopsis chorographical of Devonshire de John Booker (1599) par Tiphaine de Rocquiny
- Lecture d’un extrait des Récits des voyages de Francis Drake (1627) par Tiphaine de Rocquiny
- Extrait du film “Shakespeare in love” de John Madden (1998)
Références musicales
God save the Queen - Sex pistols (1977)
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