Faut-il encore avoir peur de la dette publique?

La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, décembre 2020
La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, décembre 2020 ©Getty - Thierry Monasse
La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, décembre 2020 ©Getty - Thierry Monasse
La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, décembre 2020 ©Getty - Thierry Monasse
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Depuis la crise sanitaire, les taux d’endettement publics sont extrêmement élevés. Ce phénomène a relancé le débat sur les risques associés à un tel niveau d’endettement et a engendré de très grandes divergences d’opinions, se cristallisant atour d'une possible annulation de la dette.

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En 2012 l’un des candidat à l’élection présidentielle, François Bayrou, avait fait de la réduction de la dette publique le thème central de sa campagne. Dix ans plus tard, peu de débats émergent sur l’endettement de l’Etat alors même que les déficits se sont encore creusés sous l’effet de la crise sanitaire. A l’heure des taux bas, la dette publique a-t-elle cessé d’être un problème? Faut-il creuser davantage les déficits pour financer la transition écologique alors même que l’inflation menace?

Tiphaine de Rocquigny reçoit François Ecalle, ancien membre de la Cour des Comptes et président de l'association Fipeco et Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et conseillère scientifique à l’Institut Veblen.

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Quels risques face à l’augmentation de la dette publique ? 

Selon François Ecalle, "la dette publique, c'est l'accumulation des déficits publics chaque année. Le déficit accroît la dette publique et la France a un déficit public depuis même avant 1981. Depuis le début des années 1970, en fait, nous n'avons jamais réussi à rééquilibrer nos comptes publics, ni même à réduire suffisamment le déficit public pour arrêter l'accumulation de dette. Il est normal que la dette augmente dans les périodes de crise. Déjà il y avait eu une récession au début des années 90. puis la crise en 2008-2009 et enfin la crise sanitaire. Il est normal que la dette publique augmente à ces moments là et c'est nécessaire. En revanche, on devrait arriver à en contrôler l'évolution dans les périodes normales et en fait non. On réussit tout juste à la stabiliser quand elle ne continue pas à augmenter dans les périodes normales. Voilà pourquoi nous en sommes là aujourd'hui". Pour Jézabel Couppey-Soubeyran "en période de crise, il faut gérer la situation. On augmente les dépenses publiques, donc on creuse les déficits. On s'endette pour financer ses déficits et donc, en effet, à ce moment là, le ratio vis-à-vis du PIB se dégrade. Ce niveau de dépense publique a été rendu possible pendant la crise sanitaire grâce à l'action de la Banque centrale européenne, qui a créé en quelques mois plus de monnaie centrale qu'en plusieurs années de gestion de crise financière. Jamais cette mesure de création monétaire n'avait été déployée. Il y a eu de gros programme d'achats de titres de dette publique. Alors, il faut être clair sur ces problèmes, sur ces programmes là, ça ne vient pas directement financer les Etats. Ça vient en quelque sorte rassurer les investisseurs. Les investisseurs savent dans ces moments là que s'ils achètent des titres de dette publique, la Banque centrale européenne en l'occurrence, et les autres grandes banques centrales seront là pour racheter les titres qu'ils détiennent".

L’annulation de la dette au niveau européen: la solution miracle? 

Selon Jézabel Couppey-Soubeyran "l'annulation de la dette est une proposition qui a fait débat. Il faut comprendre que le bilan de l'Eurosystème, c'est à dire la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales, a véritablement explosé avec tous ces programmes de rachats de rachats de titres. Dans ces titres détenus, il y a énormément de titres de dette publique. Ça veut dire que l'Eurosystème est devenu le créancier de des États des Etats de la zone euro. Les Etats de la zone euro doivent rembourser ces montants là à l'Eurosystème, à la BCE. Il faut cesser de dire que au fond, tout ça, n'est pas grave. La banque centrale et l'Etat, c'est c'est la puissance publique.  Pour rembourser, les Etats vont devoir emprunter à nouveau pour rembourser les dettes, c'est à dire qu'ils vont finalement s'endetter davantage et non pas pour investir. Une des solutions, c'est que l'Eurosystème raye une ligne. Si l'on avait 4800 milliards d'euros d'abandon de créances sur les Etats de la zone euro, on aurait en fait 10 ans d'investissements nécessaires supplémentaires permettant de réaliser la transition écologique. Il faut cette conditionnalité. Si on veut vraiment pérenniser la possibilité pour les États de financer la transformation écologique et sociale de nos sociétés, il faut rétablir la possibilité pour eux de se financer directement auprès de la banque centrale pour les soustraire à la pression du marché".

Pour François Ecalle, "sur le plan économique, on peut répondre en deux temps à la question de l'annulation. Il y a d'abord la réponse de beaucoup d'économistes qui consiste à dire, et ils ont raison, que la banque centrale est la propriété d'un Etat. Lorsque la banque centrale fait des bénéfices, elle les reverse en fait à l'État sous forme de dividendes ou d'impôt sur les sociétés. Et quand elle fait des pertes, ce qui serait le cas si elle annule à ses créances. Comptablement, ça consiste à enregistrer une perte à ce moment là. L'État en question doit la recapitaliser, donc c'est un jeu à somme nulle qui, finalement, ne sert à rien.  Dans ce premier temps de la réponse, l'annulation ne sert à rien sert à rien. Sauf que, c'est à dire oui, mais en fait, les États, l'Etat français ne seraient pas forcément obligés de recapitaliser la Banque de France. Donc, il faudrait imaginer à ce moment là d'avoir une banque de France avec des capitaux négatifs en faillite. Il est vrai qu'il y a une étude de la BRI (banque des règlements internationaux) qui expliquait que théoriquement on pouvait envisager une banque centrale avec des capitaux négatifs. On n'a pas encore fait l'expérience. L'expérience est peut être risquée et je pense qu'elle est très risquée. [00:42:07] Speaker 2: Il suffit que aujourd'hui, si l'État a besoin d'argent pour financer quoi que ce soit, il emprunte auprès de la BCE et trois secondes après, la BCE annule cette créance. Vous pouvez financer tout ce que vous voulez comme ça finalement. C'est une situation dans laquelle la banque centrale est dans la main de l'Etat".

La dette publique et les générations futures

Pour François Ecalle, "nous allons léguer une dette financière aux générations futures, il est vrai. Mais on léguera aussi des créances à ceux qui, aujourd'hui, ont des créances sur l'Etat. Le problème, c'est que les générations actuelles comme les générations futures. Ce n'est pas une seule personne à qui on va léguer une dette, c'est des tas de personnes qui sont dans des situations différentes. Ce qu'on lègue en réalité, ce n'est pas une dette aux générations futures. On lègue des conflits sur le remboursement de cette dette et la répartition des revenus futurs pour les générations futures. On leur lègue un problème"

Selon Jézabel Couppey-Soubeyran "en fait, nous empruntons à nos enfants. Effectivement, la dette la plus importante, c'est la dette écologique. Et donc, il faut trouver comment résoudre cela. La dette financière, en revanche, je pense que ça, c'est vraiment l'instrument de financement du passé. C'est l'instrument de financement d'une société qui veut croître toujours plus. La dette, c'est l'instrument de la croissance. Mais si on veut finalement changer notre notre projet de société, si on veut aller vers plus de sobriété, si notre horizon, ce n'est plus la croissance à tout prix, il faut changer cela. Il faut s'affranchir de la dette dans cet esprit là"

Références sonores

Références musicales

The Drums - Money

Adia Victoria - Ain't Killed Me Yet

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