GPA : la valeur de la grossesse : épisode 3/3 du podcast Une économie de l'utérus

La relation entre parents d'intention et femme porteuse est contractuelle à différents degrés selon les Etats.
La relation entre parents d'intention et femme porteuse est contractuelle à différents degrés selon les Etats. ©Getty - Sandy Aknine
La relation entre parents d'intention et femme porteuse est contractuelle à différents degrés selon les Etats. ©Getty - Sandy Aknine
La relation entre parents d'intention et femme porteuse est contractuelle à différents degrés selon les Etats. ©Getty - Sandy Aknine
Publicité

Notre série sur l'économie de l'utérus se poursuit sur le marché mondialisé et controversé de la GPA, entre baby business, grossesse comme "travail", altruisme, et bioéconomie...

Avec
  • Céline Lafontaine Sociologue, professeure titulaire au département de sociologie de l’Université de Montréal
  • Marlène Jouan

Troisième jour de notre série sur l'économie de l'utérus. Si le droit à l'avortement est aujourd'hui menacé aux Etats-Unis, alors que la question ne fait plus vraiment débat en France, c'est l'inverse qui se produit pour la GPA. Elle suscite peu d'oppositions outre-Atlantique, au nom du libéralisme. Là ou elle est toujours interdite dans l'Hexagone, la gestation pour autrui peut elle être un travail comme les autres ? Peut on rémunérer le temps, la fatigue et les risques de la grossesse ? Et comment les quantifier ?

La complexité des marchés de la GPA

Faire remonter les origines de la GPA aux écrits bibliques suscite la controverse ; mais ce qui reste certain, c'est que les  circulations et transferts d'enfants entre les personnes ont toujours existé de façon plus ou moins formelle. Cependant, la GPA est entrée dans le débat public dans les années 1970 et 1980. Pour Céline Lafontaine, la GPA est un marché qui fait partie de la bioéconomie : "à partir des années 80 se développe une économie qui veut poursuivre la croissance tout en tenant compte de l'épuisement des énergies fossiles et des enjeux environnementaux. Donc, on va investir massivement dans l'agriculture industrielle, notamment dans l'élevage industriel. Et les technologies dont on parle aujourd'hui pour la procréation humaine sont celles issues de l'élevage industriel qui ont été transposées dès la fin des années 70 dans la médecine reproductive humaine." La question de la sélection génétique de la part des parents d'intention soulève également le débat.

Publicité

La question juridique se mêle à ce marché concernant de la dignité du corps, sachant que désormais la femme porteuse n'a plus de lien génétique avec l'enfant à naître (grâce à  l'implantation d'ovocytes). Et quid de la sécurité juridique des enfants nés par GPA à l'étranger quand la pratique est illégale en France ? Selon Marlène Jouan, maîtresse de conférence en philosophie à l'université Grenoble Alpes et membre de l'IUF, "depuis 2017 la Cour de cassation était prête à une retranscription des actes de naissance pour les deux parents biologiques et parents d'intention. Mais il y a eu un recul au niveau au niveau du Parlement. Et en effet, aujourd'hui, le second parent doit adopter l'enfant. Ce qui pose divers problèmes, puisque l'adoption est entre les mains du juge. Et on peut toujours avoir le risque que l'adoption soit refusée."

A ces complexités juridique et bioéconomique s'ajoutent les différences frappantes du vécu de la GPA entre femmes porteuses indiennes, ukrainiennes, californiennes... La GPA étant un marché plus ou moins bien régulés, avec des régions dites "bon marché".

La grossesse, un travail ?

L'instrumentalisation du corps féminin comme matière première pour faire fonctionner le marché de la GPA introduit la notion de travail. D'une part, parler de travail implique de parler de rémunération ; or il existe une opposition artificielle entre GPA commerciale, motivée part l'argent, et la GPA dite altruiste (telle qu'elle est autorisée en Grande-Bretagne par exemple). Pour Céline Lafontaine, considérer cette expérience comme un travail est une dérive : "comment rémunérer justement un travail biologique ? Il faudrait rémunérer l'ensemble de la production. Cette production a lieu dans le corps de la femme, enceinte 24h/24, 7j/7 pendant au moins neuf mois. Donc ça se rapproche plus de l'esclavage dans la mesure où à chaque minute la division cellulaire est impliquée. Donc, on voit ici que le modèle ne correspond pas au travail effectif".

Pour Marlène Jouan, "c'est une objection qu'on entend fréquemment. On ne peut pas quantifier, donc on ne peut pas mesurer. Donc on ne peut pas rémunérer. A ce moment-là, comparons la GPA comme cela a été fait par d'autres à d'autres formes de travail. Le travail intellectuel me semble difficilement quantifiable. (...) Rémunérer un travail ne veut pas dire rémunérer chaque aspect du processus en jeu. Ça veut dire reconnaître en revanche qu'il y a ici un engagement, une activité, un effort, etc."

Dans ce contexte de "travail" le rapport de domination entre parents d'intention, en général aisés (la GPA peut coûter entre 20 000 et 130 000 dollars selon l'Etat), et femmes porteuses souvent pauvres - bien qu'aux Etats Unis les plus pauvres touchant les allocations soient exclues du marché - soulève également de vastes questions éthiques, morales et économiques.

Pour aller plus loin...

Le corps marché. La marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie, Céline Lafontaine, Paris, Seuil, 2014

« Gestation pour autrui » (GP), Marlène Jouan, in M. Kristanek (dir.), L’Encyclopédie philosophique, 2021

« Rémunérer la gestation pour autrui : contextes, enjeux, limites », Marlène Jouan et Laurence Brunet (juriste), Regards croisés sur l’économie, n°27, 2021, p. 174-183.

« Le privé est politique… et économique ! Pour une économie politique du travail de gestion pour autrui », Marlène Jouan et Clémence Clos, économiste,  Nouvelles Questions Féministes , vol. 39, n°2, 2020

Références sonores

  • Témoignage de Caroline, mère porteuse en Angleterre, Arte Journal. 2018
  • Fierté d’une femme porteuse américaine à avoir contribué à la réalisation du rêve des parents d’intention, extrait du documentaire Paroles de femmes porteuses de Delphine Lance, 2014
  • Le docteur Sacha Geller, président de l'association Alma Mater, et une membre de l'association parlent de la "rémunération" de la grossesse, JT Antenne 2, 1987
  • Lecture d'un extrait de La Servante Ecarlate, de Margaret Atwood, 1985

Références musicales

Bachelorette - Björk (1997)