De 1958 à 1963, le miracle économique italien modifie en profondeur la société, qui passe soudainement dans la modernité. Les cinéastes s'emparent de ces bouleversement économiques et sociaux spectaculaires et en font un nouveau sujet à l'écran. Le boom économique devient cinématographique.
Direction l’Italie. A l’heure du formidable essor de l’industrie dans les années 1950, le boom économique charrie un imaginaire nouveau et inspire Fellini, Visconti ou encore Antonioni. Le néo-réalisme recule alors au profit d’une nouvelle esthétique plus à même de traduire les bouleversements majeurs que connaît l’Italie.
Pour en parler, Tiphaine de Rocquigny reçoit Graziano Tassi, docteur en études italiennes, chargé de cours en cinéma à la Sorbonne Nouvelle Paris 3 et l'Université Paris-Est Créteil et Virgile Cirefice, docteur en Histoire contemporaine et membre de l’Ecole Française de Rome.
Le miracle économique permet l’avènement d’une société moderne et un renouvellement des imaginaires socio-économiques
Pour Virgile Cirefice, "il s'agit vraiment une période où la croissance est de plus de 6% par an en moyenne, ce qui n'a pas d'équivalent en Europe occidentale. Il y a même une pointe à plus de 8% en 1961. C'est une croissance qui est tirée par l'industrie. Pour la première fois en 1958., il y a autant d'actifs dans l'industrie que dans le monde agricole en Italie et en 1963, à la fin de la période, y en a 40%, alors qu'il n'y a plus que 29% d'actifs dans le monde agricole.C'est surtout le caractère brusque de cette croissance qui fait parler de miracle. En fait, depuis l'après guerre, il y a une croissance qui est juste moins importante. Il y a vraiment un décollage dans la fin des années 50, qui est le fruit de la genre de politiques publiques qui ont été mises en place au début des années 50, notamment des investissements dans les infrastructures et dans certains grands groupes nationalisés".
Selon Graziano Tassi, "la particularité du miracle économique italien c'est que personne ne s'attendait à ce que l'Italie, un pays essentiellement rural qui était resté coupé un peu de l'histoire économique avec le fascisme, arrive à devenir la cinquième puissance mondiale industrielle. Ces changements, à cause de ce caractère assez rapide, ont des une conséquences assez importantes sur la vie sociale des Italiens, sur le changement anthropologique des Italiens. Il est perçu par la majorité des Italiens comme un bouleversement presque apocalyptique. Ce bouleversement très profond a été représenté au cinéma, et même dans la littérature, presque comme une apocalypse. C'est à dire que l'Italie entière disparaissait complètement et était détruite, en quelque sorte par ce miracle économique. La réalité des choses n'est pas vraiment comme celle ci. Il s'agit bien évidemment d'une représentation".
Un véritable miracle économique ? Le bluff de la modernité heureuse dévoilé à l’écran
Pour Graziano Tassi, " il y a aussi une représentation différente des classes sociales de celle du néo-réalisme d'après-guerre. Les classes sociales qui étaient représentées dans le réalisme étaient surtout les classes populaires. Or, le prolétariat dans la comédie à l'italienne, c'est l'épopée des classes moyennes. Et dans le cinéma d'auteur, de plus en plus, on va représenter des intellectuels en crise, donc les membres de la bourgeoisie, en particulier des intellectuels qui s'interrogent sur leur place dans ce monde déshumanisé, envahi par les objets et qui vivent dans des villes qui ont perdu toute taille humaine. La critique du miracle économique est présente dans des films comme La dolce vita, par exemple, de Fellini. On voit une Italie qui est en train de disparaître, une Italie beaucoup plus simple, modeste, qui a été fondée sur les valeurs du travail, des valeurs fortes liées à la religion face à une autre Italie qui est devenue une société du spectacle où toutes les valeurs, l'amour, la religion sont dégradées et sont devenues des valeurs hédonistes et superficielles. La technique du miracle économique est un peu partout dans le cinéma italien".
Virgile Cirefice rappelle qu'il "y a dès 1959, et cela s'accentue à partir de 1960 et 1962, une contestation sociale dans les usines de la part des ouvriers, qui porte plutôt sur la question des horaires de travail et des salaires. Ils demandent une redistribution plus juste de ces produits de la croissance. Les syndicats font valoir que pendant les années 1950, la productivité dans les usines a augmenté de 43% et que, dans le même temps, les salaires n'ont cru que de 7%. Et il y a un certain nombre de contestations, ce qui est nouveau, notamment à partir de 1962. En 1962, on assiste à l'organisation d'ouvriers peu qualifiés, issus souvent du Sud de l'Italie, qui se trouvent hors du syndicalisme et hors du Parti communiste. Cela conduit à des débordements à Turin. En 1962, le Parti communiste essaye de rétablir l'ordre et n'y arrive pas. Cet événement annonce un certain nombre de mécanismes qui vont se reproduire dans les années 1960, avec une contestation qui se fait hors des grands cadres habituels de la contestation qui était le Parti communiste et le syndicat unitaire".
Références sonores
- Le boom économique de l’Italie d’après-guerre, archive INA - 1956
- Extrait du film Il boom de Vittorio de Sica - 1963
- Extraits du film Rocco et ses frères de Luchino Visconti - 1961
- Extrait du film La dolce vita de Fellini - 1960
- Michelangelo Antonioni sur son film La Notte - archive de 1961
Références musicales
Bande originale de La dolce vita par Nino Rota
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