Épisode 32 : L'économie selon... Carole Thibaut

L'économie part aujourd'hui à la rencontre de l'art : nous recevons Carole Thibaut, autrice, metteuse en scène, comédienne, qui dirige depuis 2016 le Théâtre des Îlets - le centre dramatique national de Montluçon - de la région Auvergne-Rhône-Alpes, où elle vit désormais. Cette ville moyenne dite "en région" marquée par un passé industriel est située dans un département très rural, dont elle explore l’histoire économique dans plusieurs de ses mises en scène…

L'économie du spectacle vivant

Carole Thibaut revient sur les questions de l'illégitimité et de la domination culturelle dans le champ du spectacle vivant : "C'est très rare de se sentir bien dans aucun endroit de domination culturelle. Il y a beaucoup de gens qui savent faire avec, à qui on a appris à faire avec, qui se sont appropriés ça, souvent parce que c'est dès la naissance. Mais c'est toujours compliqué d'en être de toute façon." Et puis il y a le rapport à Province-Paris, "qui est extrêmement violent. Quand je vois comment ça fonctionne entre Montluçon et Paris, dans la perception que les habitants de Montluçon ont de leur vie par rapport au Centre... C'est devenu, je crois, un des problèmes fondamentaux de politiques en France".

Elle aborde également les problématiques économiques auquel le théâtre public doit faire face, notamment face à un public moins présent. "Je n'ai pas l'impression que le public est de moins en moins au rendez-vous, au contraire. Mais il faut traverser les murs en dur des grandes institutions culturelles : pour aller travailler avec des publics qui n'osent pas franchir les murs du théâtre, je pense que c'est à nous de franchir ces murs". L'occasion de revenir sur la question de la décentralisation...

Ses oeuvres concernent la mémoire industrielle...

Dans sa pièce autobiographique Logwy-Texas, Carole Thibaut a mis en scène l'histoire de la sidérurgie lorraine et de ses luttes à travers les figures de ses père, grand père et arrière grand père, de sa mémoire de petite fille, et de documents d'archives. À Longwy, les derniers hauts fourneaux ont fermé en 1991. "C'est aussi un écho intime, ces espèces de villes qui ont eu de telles flambées. A Montluçon, c'est les forges à la fin du 19ᵉ jusqu'aux années 50. Comme très souvent en France, ça a périclité à partir des années '60, '70. Ce sont des espèces de moments très forts qui ont bouleversé totalement tous les paysages contemporains français. (...) C'est une histoire de luttes, d'espoirs, d'utopie dans la lutte. (...) Longwy symbolisait aussi la lutte d'un monde qui se sentait disparaître". Elle interroge la place des femmes ouvrières dans ces territoires. Dans plusieurs spectacles, Les Filles des mines et A plate couture, ou encore Un siècle, elle met lumière ces femmes ouvrières privées d'histoire.

L'empire de la finance sur scène

Outre le monde de l'usine, il y a l'univers de la banque que l'on retrouve dans son spectacle Monkey Money. "Ce qui m'a bouleversée, c'est que l'on n'était pas dans Le Loup de Wall Street, avec des traders, des jeunes loups qui veulent s'en mettre plein les poches. Il y a des gens qui subissent ça : on est face à des gens pas formidablement bien payés, qui sont des gens très sympa, qui ont une vraie solidarité entre eux." Le spectacle pose également les questions de l'héritage et de la tansmission...

Références sonores :

• Extrait de L’esquive de Abdellatif Kechiche  (2004)
• Archive de Jean Vilar, ORTF (1967)
• Archive de Peppino Daloiseau, ouvrier italien, à Longwy, Inter soir (1991)
• Extrait de Un Siècle, vie et mort de Galia Libertad, de Carole Thibaut capté au Théâtre des Îlets à Montluçon le 20 janvier 2022
• Extrait de Monkey Money, de Carole Thibaut, capté au Théâtre de L'Idéal à Tourcoing le 19 novembre 2015
• Lecture d’un extrait du rapport de Hubertine Auclert au 3ème congrès national ouvrier à Marseille entre le 20 et le 31 octobre 1879 sur la musique Transportation par Julia Klent (2013)

Références musicales :

• Choix musical de Carole Thibaut  : 69 battements par minutes, Claire Diterzi (2015)