L'économie selon... George Eliot : épisode 17/100 du podcast L'économie selon...

George Eliot est une autrice dont l'oeuvre est imprégnée par les changements économiques majeurs de son époque, induits par la révolution industrielle.
George Eliot est une autrice dont l'oeuvre est imprégnée par les changements économiques majeurs de son époque, induits par la révolution industrielle. ©Getty - benoitb
George Eliot est une autrice dont l'oeuvre est imprégnée par les changements économiques majeurs de son époque, induits par la révolution industrielle. ©Getty - benoitb
George Eliot est une autrice dont l'oeuvre est imprégnée par les changements économiques majeurs de son époque, induits par la révolution industrielle. ©Getty - benoitb
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Que nous dit l’œuvre de George Eliot de l’Angleterre du XIXème ? Témoin d’une société rurale confrontée à l’industrialisation naissante, l’écrivaine montre comment le progrès bouleverse les destinées individuelles.

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Henry James la décrivait comme "magnifiquement laide et délicieusement hideuse". La romancière George Eliot, si méconnue en France, a pourtant produit, au XIXème siècle, une oeuvre riche et profonde qui mérite qu'on s'y attarde. Elle est le témoin d'une société rurale ébranlée par l'onde du changement, le pouvoir grandissant des banquiers, les champs éventrés par le chemin de fer et les ouvriers détruisant leurs machines. Que nous dit son oeuvre de l'Angleterre Victorienne confrontée aux grands bouleversements de la Révolution industrielle?   

Pour en parler, Tiphaine de Rocquigny reçoit Alain Jumeau, professeur émérite de littérature et civilisation britanniques du XIXe siècle et Charles-François Mathis, professeur à l’Université de Panthéon-Sorbonne. 

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Comprendre l'Angleterre du XIXème siècle au travers de l'oeuvre de George Eliot 

Selon Alain Jumeau, "s'intéresser à "l'économie selon George Eliot" est lié au fait que sa vie et son oeuvre traverse le XIXème siècle anglais en pleine Révolution industrielle. C'est une véritable témoin de son temps. Eliot se situent aux confluences de deux influences majeures : le roman psychologique de Jane Austen et le roman historique de Walter Scott. Elle aime donc montrer, dans ses romans, comment évolue la société et on voit souvent apparaitre des explications, des réflexions d'ordre économique (...). Finalement, le grande ambition de son oeuvre est de mettre en scène des vies ordinaires bouleversées par les grands changements de l'époque. Elle commence d'ailleurs à révéler son intérêt pour la sociologie dès ses premières années d'études". 

Pour bien comprendre l'oeuvre de George Eliot, il faut étudier les grandes logiques de l'environnement politique, économique dans lequel elle a évolué. La plupart de ses romans se déroulent sous le règne de Guillaume IV, entre 1830 et 1837. Cependant, dans la droite lignée d'Austen, elle a aussi particulièrement bien décrit les mécanismes hiérarchiques de la société rurale anglaise du début du XIXème siècle, marquée par la domination du squire, le riche propriétaire foncier.  

Selon Charles-François Mathis, "les années 1830 sont un moment absolument essentiel dans le mouvement d'industrialisation. On a généralement tendance à considérer l'industrialisation comme une révolution, c'est à dire comme un phénomène qui se passe très rapidement et partout. Il y a, évidemment, de réels mouvements d'accélérations, mais ceux-ci sont, déjà, très localisés dans l'espace. Seules certaines régions du Royaume-Uni sont concernées par ce processus, à l'image des régions de Manchester ou de Liverpool alors que de nombreux espaces du pays restent absolument étrangers à l'industrialisation et encore dominés par des systèmes économiques ruraux et traditionnels; espaces alors largement décrits dans l'oeuvre de George Eliot. Les années 1830 sont donc un moment de prise de conscience nationale de ce phénomène d'industrialisation. Personne n'avait, jusqu'alors, imaginé, que ces bouleversements allaient s'enraciner et modifier, aussi profondément, le système économique, la société et les paysages. On retrouve véritablement cette prise de conscience dans les romans d'Eliot, ce moment où les victoriens mettent en avant ces transformations et inventent les mots "industrialism" et "factory system" qui marquent le début d'un nouveau monde".   

A l'aube d'un nouveau monde, celui du charbon et du chemin de fer 

Selon Charles-François Mathis, "l'ouverture de la ligne de chemin de fer Manchester-Liverpool est un moment clé. Il s'agit de la première ligne de passagers qui s'ouvre entre deux villes en plein essor industriel. Cependant, cette modernité, bien qu'elle symbolise un réel progrès technique et une certaine efficacité productive, suscite de nombreuses inquiétudes au sein de la population. George Eliot, notamment dans son oeuvre Middlemarch, se fait le porte voix de ces interrogations, de ces craintes liées au déploiement du chemin de fer. On ne mesure pas, aujourd'hui, l'ampleur du bouleversement qu'a entrainé la révolution des chemins de fer étant donné qu'elle a radicalement modifié le rapport au temps, la perception de l'espace et les modes de vie (...) Cette intrusion du chemin de fer dans les espaces ruraux va d'ailleurs parfois entrainer des réactions très violentes". 

Cet éloge de la nature face aux bouleversements de la révolution industrielle se retrouve alors pleinement dans l'oeuvre de George Eliot. 

Selon Alain Jumeau, "dans le roman Le moulin sur la Floss, qui se déroule au début des années 1830, on voit très clairement ce passage de l'Angleterre rurale à l'Angleterre nouvelle, tandis que les premières oeuvres d'Eliot décrivait seulement un monde rustique marqué par une certaine immobilité. Dans ce roman, on retrouve un passage très intéressant où l'oncle du personnage principal, Tom Tulliver, décrit que les choses ont beaucoup changé depuis sa jeunesse. Il lui dit "c'est la vapeur qui a tout changé. Elle fait tourner chaque roue deux fois plus vite et celle de la fortune aussi". On a donc définitivement quitté la monotonie des espaces ruraux et de l'économie rurale traditionnelle pour aller vers un monde toujours plus rapide". 

Mona Ozouf parlait d'ailleurs de "conservatrice de progrès" pour décrire le rapport qu'entretenait George Eliot avec la modernité. Critique, nostalgique de la fin d'un temps, mais aussi consciente du caractère inéluctable du progrès. 

Pour aller plus loin 

Références sonores 

  • Extrait du film Les Jeunes années d’une reine de Ernst Marischka (1954)
  • Mona Ozouf sur George Eliot, France Culture, 2019
  • Lecture d’un extrait de Middlemarch de George Eliot (1872)
  • Lecture d’un extrait de Silas Manner de George Eliot (1861)
  • Lecture d’un extrait de Felix Holt le radical de George Eliot (1866)

Références musicales