Les physiocrates, au XVIIIe siècle, développent la pensée économique de la nature, qui devient propriété. L'exploitation des ressources naturelles explose ensuite avec le développement du capitalisme, mais la réflexion qui l'entoure est en réalité bien plus ancienne qu'on ne le pense.
- Antoine Missemer Economiste, chargé de recherche CNRS, membre du Centre International de Recherche sur l'Environnement et le Développement (CIRED)
L'expression « économie de la nature » a surgi dans le vocabulaire des sciences au XVIIIe siècle, bien avant que le néologisme « écologie » ne s'impose plus d'un siècle et demi plus tard. Chez Charles Darwin, par exemple, l'économie de la nature désigne l'organisation des relations entre les espèces au vu du climat, du territoire et de l'évolution. Cette économie est donc un ensemble d'interactions entre toutes les espèces, dont les humains. On est bien loin de la définition actuelle de l'économie, largement associée à l'argent, la production, la consommation, le travail et même le capitalisme.
On a tendance à considérer que la marchandisation de la nature est un phénomène récent, dynamisé profondément par le tournant néo-libéral dans les années 1980. C'est vrai que de nombreux outils de protection de l'environnement peuvent aller dans cette direction. Mais il y a aussi une série de processus de marchandisation, de privatisation et même de financiarisation, de la nature, qui s'opère dès le XVIIIe siècle. En Angleterre, par exemple, cela passe par la privatisation des forêts dès cette époque. - Antoine Missemer
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Très vite, cependant, les physiocrates, premiers « économistes », dévoient la définition des naturalistes pour fonder une science de l'agriculture subordonnée à de prétendues lois du marché. Ils attachent notamment une importance prépondérante au droit de propriété. Au XIXe siècle, ensuite, Haeckel donne naissance à l'écologie en la définissant comme « une économie de la nature ». Dès lors, les écologues se mettent à utiliser des concepts empruntés à l'économie, tels que les notions de productivité, de consommation ou de richesse.
Il y a eu, tout au long du XVIIIe siècle, des alertes de plus en plus fortes sur les conséquences de l'activité humaine sur la nature, mais principalement du côté des naturalistes. Du côté des économistes, les alertes sont beaucoup plus circonstanciées. Par exemple, la question du charbon qui se raréfie ne les inquiète pas dans l'absolu mais parce qu'un charbon plus rare est plus cher, et donc l'économie est moins compétitive. La finalité de leurs préoccupations est économique. - Antoine Missemer
On reconnaît largement aujourd'hui que les dynamiques de destruction de la nature ont pour origine des enjeux économiques, et que la « mise en économie de la nature » a biaisé le regard porté par les communauté humaines sur l'environnement. Il est cependant intéressant de noter que nos interrogations contemporaines sur la préservation de la nature et l'épuisement des ressources naturelles ne datent pas des 50 dernières années, mais relèvent de préoccupations bien plus anciennes.
Dès le XVIIIe siècle, l'histoire des idées environnementales est fondée sur une opposition structurante entre une vision utilitariste, qui consiste dans la valorisation et l'exploitation de la nature, et une vision contemplative de celle-ci. - Antoine Missemer
Comment qualifier une « économie de la nature » ? Se résume-t-elle à l'histoire de l'exploitation des ressources naturelles par l'homme ? Nous avons fait appel à Antoine Missemer, chargé de recherche CNRS, membre du Centre International de Recherche sur l'Environnement et le Développement (CIRED) pour nous présenter ses travaux menés avec Harold Levrel, professeur à AgroParisTech et membre également du CIRED.
Références sonores
- Interview d'Alain Deneault dans « La Grande Table » (mars 2020, source : France Culture)
- Interview de Jacques Généreux dans « L'économie en questions » (septembre 1998, source : France Culture)
- Interview de Lucas Chancel dans « Matières à penser » (novembre 2018, source : France Culture)
- Lecture par Emmanuel Lemire d'un extrait de la « Systématique analytique des connaissances positives de l'homme » de Jean-Baptiste de Lamarck (janvier 2010, source : France Culture)
- Lecture d'un extrait de « La question charbonnière » de William Stanley Jevons
- Interview de François Omnès dans « De cause à effets » (septembre 2020, source : France Culture)
- Interview de Hubert Reeves dans « La terre au carré » (octobre 2019, source : France Culture)
Références musicales
- « Mother Nature and Father Time » - Nat King Cole
- « The Bandit » - Kings Of Leon
Pour aller plus loin
Un article co-écrit par Antoine Missemer et Harold Levrel : « La mise en économie de la nature, contrepoints historiques et contemporains »
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