Le capitalisme selon Jésus : épisode 3/3 du podcast L'Eglise catholique à l'heure des comptes

La Parabole de Lazare est un tournant dans les textes bibliques car elle invalide sans concession l’idée de grandeur associée au fait d’avoir de l’argent.
La Parabole de Lazare est un tournant dans les textes bibliques car elle invalide sans concession l’idée de grandeur associée au fait d’avoir de l’argent. ©Getty - Leemage
La Parabole de Lazare est un tournant dans les textes bibliques car elle invalide sans concession l’idée de grandeur associée au fait d’avoir de l’argent. ©Getty - Leemage
La Parabole de Lazare est un tournant dans les textes bibliques car elle invalide sans concession l’idée de grandeur associée au fait d’avoir de l’argent. ©Getty - Leemage
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De l'Epître de Jacques s'opposant à l'accumulation des richesses à la définition d'une Doctrine sociale de l'Eglise au XIXème siècle, en passant par l'opposition de Thomas d'Aquin à l'usure, le catholicisme a toujours proposé une grille de lecture critique des travers des systèmes économiques.

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Troisième et dernier épisode de notre série, consacré à l'Eglise catholique et l'argent. Aujourd'hui, c'est dans la bible que nous cherchons la doctrine économique de l'Eglise. Si le Nouveau Testament prend fait et cause contre l'accumulation de richesses, qui dévore la chair comme un feu, d'autres interprétations de l'Ecriture ont accompagné l'essor du capitalisme industriel. C'est la tension entre l'éloge de la pauvreté dans les textes et les convictions libérales des catholiques français qui va ici nous intéresser. 

Pour en parler, Tiphaine de Rocquiny reçoit Olivier Bobineau, sociologue et politologue membre du Groupe Sociétés Religions Laïcités (Sorbonne-CNRS) et directeur de The Olive Branch et Jacques-Benoît Rauscher, sociologue, maître assistant en théologie morale à l’Université de Fribourg, religieux-prêtre de l’ordre Dominicain en report-it. 

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Les textes sacrés ou la construction d’un rapport complexe et conflictuel avec l’argent 

Le Nouveau Testament constitue une critique de l'argent qui se place à la fois dans la continuité et en rupture par rapport à l’Ancien Testament.  

Selon Olivier Bobineau, " Les Evangiles regroupent de nombreux passages dans lesquels on retrouve une véritable condamnation de la richesse en tant que détournement de l’homme des messages divins. Matthieu énonce clairement cette conception dans son Evangile :Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent” (M, 6. 24). Matthieu montre ici clairement que le richesse est dorénavant vue comme l’exact opposé, l'inversion symétrique des préceptes divins. Dans certaines traductions, l’argent est appelé “Mammon”. Le fait de parler de l’argent en utilisant le nom d’une idole montre qu’il considère que la richesse matérielle peut capter toutes les ressources spirituelles d’un individu. Aucune relation impliquant l’argent ne peut être raisonnable étant donné qu’à tout moment il peut prendre le pas sur son amour pour le Père".

A partir de cette condamnation de l'amour excessif des richesses, de nombreux philosophes et théologiens scolastiques développent dans leurs oeuvres, à partir du XIème siècle, une véritable critique de l'usure et des nouvelles innovations financières qui apparaissent dans le contexte du développement économique et commercial de la société médiévale.

Pour Jacques-Benoît Rauscher, "la question de l'usure chez Thomas d'Aquin est très importante car elle constitue le coeur de sa pensée économique et morale. Thomas d'Aquin est un religieux dominicain et est donc dans une perspective très biblique. Il appuie sa réflexion sur le Chapitre 23 du livre du Deutéronome qui condamne le prêt à intérêt et sur le psaume 15 qui définit l'Homme juste comme celui qui ne prête pas son argent avec un intérêt. De plus, Thomas d'Aquin se situe dans une perspective aristotélicienne qui condamne également, en raison de la justice naturelle, l'usure. Il représente ainsi la convergence entre une tradition biblique et la philosophie d'Aristote, faisant ainsi de lui le symbole des réflexions scolastiques. Cependant, on note également chez lui une certaine forme d'ouverture, de pragmatisme à l'égard de cet instrument financier, qui s'avère être finalement indispensable au sein des nouvelles logiques économiques du XIIIème siècle". 

Eglise catholique, entre intégration et répulsion face au capitalisme 

Alors que l'Eglise s'était clairement mis à l'écart du capitalisme naissant, la Réforme protestante initiée au XVIème siècle conduit à une remise en cause de ce principe. Le catholicisme doit dorénavant s'intégrer dans ces nouvelles dynamiques afin de ne pas s’en auto-exclure et surtout de voir se développer des principes allant pleinement à l’encontre de ses valeurs et sur lesquels elle n'a aucune prise. L'Eglise va ainsi favoriser l'émergence d'un capitalisme catholique, fondé sur un patronat paternaliste.

Avant de parler de la Doctrine sociale de l'Eglise, il est important de rapeller, selon Olivier Bobineau, que "La traduction de l'Épître aux romains de Luther en 1521 constitue un tournant absolument fondamental dans l’histoire du monde. Plus que la tradition du texte complet de l'Épître en soit, c’est la traduction d’un seul mot qui va conduire au façonnement d’une approche philosophique, anthropologique différence majeure entre catholiques et protestants autour de l’éthique économique. Ainsi, Luther traduit le mot d’ancien allemand Berufung, “vocation”, soit l’appel du Père, en allemand moderne Beruf qui signifie également “vocation” mais dans le sens de la profession, du travail. Avec cette traduction, l’appel du Père ne se comprend plus, ne relève plus de la simple prière mais du travail. Les peuples allemands, qu’ils soient issus des masses paysannes ou des nouvelles classes bourgeoises commerçantes et urbaines comprennent que l’obtention de leur salut passe nécessairement, au regard de ce texte, par le travail. De cet ethos se développe alors une véritable doctrine économique qui va être au fondement du capitalisme moderne : le travail produit des revenus qui ne doivent pas être consommés dans l’or, la luxure et l’artifice. Les familles protestantes vont alors développer une certaine atitude ascétique, contribuant ainsi à l’essor de l’épargne; socle d’investissements, puis d’innovations futures". 

Selon Jacques Benoît Rauscher, "La définition d'une Doctrine sociale de l'Eglise s'est faite sous l'influence de laïcs, et surtout de certains patrons, qui voyaient, face à la rapidité des modifications induites par le capitalisme industriel, se fissurer certaines conceptions et institutions sociales sur lesquels l'Eglise catholique avait initialement une prise. Le pape Léon XIII décide donc, en 1891, de rédiger une encyclique consacrée aux questions sociales qui porte alors le nom de Rerum Novarum. L'objectif du pape était à la fois de rappeler l'attachement traditionnel du catholicisme à la condamnation des richesses, mais surtout de ne pas se faire dépasser sur sa gauche , avec la montée en puissance du marxisme qui critique également les travers du capitalisme (...). C'est également pour cette raison que les institutions ecclésiastiques ont longtemps soutenu de nombreux mouvements ouvriers". 

Références sonores 

  • Extrait du film L’évangile selon Saint- Matthieu de Pier Paolo Pasolini (1964)
  • Lecture d'un extrait de la Somme Théologique de Thomas d'Aquin (1273), Question 78 relative à l'usure, par Tiphaine de Rocquiny 
  • Extrait du film Germinal de  Claude Berri (1993)
  • Témoignage du Père Deschamps sur les prêtres-ouvriers, RTF, 5 juin 1969

Références musicales

Personal Jesus - Johnny Cash (2002)

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