L’État français est à la fois souvent critiqué sa bureaucratie inefficace et fortement attaqué lorsqu’il fait appel au secteur privé pour sous-traiter des expertises, comme cela a été le cas pour la stratégie de vaccination. Que dit cette collaboration de l’action publique ?
- Emmanuelle Mignon Conseillère d’État et avocate associée au cabinet August Debouzy
- Romaric Godin Journaliste économique à Mediapart
- David Martimort Economiste, directeur d’étude à l’EHESS et professeur à Paris School of Economics
Le site Politico et Le Canard enchaîné, repris par l’ensemble de la presse française, ont révélé la part prise par le cabinet de conseil en stratégie McKinsey dans la stratégie de vaccination française, justifiée par le gouvernement pour des questions stratégiques et logistiques. Ces révélations viennent renforcer la défiance à l’égard du monde politique et de sa collusion avec le secteur privé, et posent la question de l’efficacité des agences publiques, si l’État a dû faire appel à des entreprises privées pour décider de la meilleure manière de conduire la campagne de vaccination.
Il se passe deux choses à partir des années 1990. D’abord, on passe d’une économie de rattrapage à une économie de l’innovation, d’où ce recours au privé et à l’initiative extérieure. Deuxième phénomène, et j’utilise un mot fort exprès : le démantèlement des administrations centrales. On fait peser sur l’Etat central l’essentiel de la charge de réduction du déficit public, on prive les administrations centrales de moyens et on a recours à des agences. Ces deux phénomènes font qu’on pense qu’en ayant recours à des cabinets d’expertise privés, on se donne du souffle et des idées nouvelles pour compenser des manques créés en partie par ces deux phénomènes. – Emmanuelle Mignon
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L’État n’a jamais été aussi présent dans nos vies que pendant cette pandémie de Covid-19. Contrairement aux pays anglo-saxons, il existe un fantasme autour de l’État en France qui voudrait que celui-ci puisse résoudre tous les problèmes. Mais, en cas d’interventionnisme très élevé comme c’est le cas depuis un an, il est critiqué pour son inefficacité. Le privé peut-il donc être un modèle pour la bureaucratie française ?
La question centrale, c’est l’intérêt général. Si l’on considère que l’intérêt général ne peut pas être défini démocratiquement et que c’est un simple conflit d’intérêts qui peut être réglé, la façon la plus simple de le régler, c’est effectivement le marché. C’est la vision qui domine depuis quarante ans, avec des différences selon les pays. En France, en tout cas, il y a une résistance vis-à-vis de la marchandisation des services publics. Ce qu’on constate, c’est que la gestion « à la privé », c’est-à-dire en s’inspirant des techniques de l’entreprise, des services publics n’a pas démontré d’efficacité flagrante. – Romaric Godin
L’État est au centre d’un immense ensemble de contrats plus ou moins explicites entre le citoyen, le politique et la sphère économique. Ces nœuds de contrats se matérialisent en délégations de pouvoir successives qui créent nécessairement des fractures informationnelles, qu’il faut combler afin d’éviter le danger du manque de lisibilité et de cohérence de l’action publique.
Le recours au privé devrait être jugé sur les résultats. Il faut aussi imaginer ce qui se passerait si on n’y avait pas recours, c’est-à-dire calculer le coût d’opportunité de ne pas avoir recours à ces cabinets. Dans des situations exceptionnelles qui sortent du cadre de réflexion habituel dans lequel travaille une bureaucratie normale, cela ne me semble pas choquant d’avoir recours à des avis extérieurs. – David Martimort
Quels sont les raisons et les risques de la collaboration entre le décideur public et des décideurs externes ? Le secteur privé doit-il être un modèle pour la bureaucratie administrative ? Quel est l’avenir de l’action publique ? Pour en parler, nous avons fait appel à Romaric Godin, journaliste à Mediapart et ancien rédacteur en chef adjoint à La Tribune, David Martimort, économiste, directeur d’étude à l’EHESS et professeur à Paris School of Economics et Emmanuelle Mignon, conseillère d’Etat et avocate associée au cabinet August Debouzy.
Références sonores
- Véronique Louwagie, député et rapporteur spécial de la Commission des finances sur la mission de santé, au compte rendu du Conseil des ministres du 6 janvier (source : RFI)
- Gabriel Attal, porte-parole du Gouvernement, en conférence de presse (source : franceinfo)
- Bruno Le Maire, Ministre de l'Economie et des Finances, sur la transition énergétique (source : gouvernement.fr)
- François Baroin, maire de Troie et président des maires de France, sur le rapprochement entre le public et le privé (source : Europe 1)
Références musicales
- « Free Advice » - The Mamas & The Papas
- « Waking Up » - Django Django
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