Les nantis sur une autre planète : épisode 1/3 du podcast La résistance des ultra-riches

Joueurs de golf et jet privé, au départ de l'aéroport Don Mueang de Bangkok, 10/03/2022
Joueurs de golf et jet privé, au départ de l'aéroport Don Mueang de Bangkok, 10/03/2022 ©AFP - Jack TAYLOR / AFP
Joueurs de golf et jet privé, au départ de l'aéroport Don Mueang de Bangkok, 10/03/2022 ©AFP - Jack TAYLOR / AFP
Joueurs de golf et jet privé, au départ de l'aéroport Don Mueang de Bangkok, 10/03/2022 ©AFP - Jack TAYLOR / AFP
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Dans quelle mesure les riches sont-ils responsables de la moitié de la pollution annuelle de notre planète : qui sont-ils et comment polluent-ils ? La lutte contre le changement climatique doit-elle s’appuyer sur une meilleure prise en compte des inégalités ?

Avec
  • Lucas Chancel Co-directeur du Laboratoire sur les inégalités mondiales à l’Ecole d’économie de Paris, chercheur senior à l’IDDRI (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales) et enseignant en économie à Sciences-Po Paris
  • Coralie Chevallier Chercheure en sciences cognitives et sciences comportementales

Depuis cet été et l'actualité climatique alarmante, les débats sur le moindre participation des ultra-riches à l'effort climatique ont refait surface. L'empreinte carbone des plus aisés ne cesse d'être pointée du doigt.  Les comportements climaticides des nantis sont désormais de notoriété publique et ont été objectivement évalués. Le World Inequality Lab a ainsi montré, dans son rapport 2022, que les 1 % les plus riches de la planète ont émis 17 % du CO2 cette année, plus que la moitié la plus pauvre de la population.

Extrême richesse, extrême pollution

Pour étudier les émissions mondiales de gaz à effet de serre, le taux moyen national ne semble pas suffisant. Il faudrait  regarder plus en détail le niveau de revenus et de patrimoine. Il faut observer les quantités d’émissions des populations nationales mais aussi leur distribution dans les différents groupes d’individus au sein de ces populations. Lucas Chancel précise : "en France, pour entrer le groupe des 10% les plus aisés, il faut gagner plus de 4500€/mois de revenu fiscal par adulte et posséder plus de 400 000€ de patrimoine, que ce soit de l'immobilier ou des actifs financiers". Ce que montre le rapport 2022, c'est que plus on est riche, plus on pollue. Lucas Chancel poursuit :  "le lien est assez clair, on le mesure grâce à des enquêtes de déplacements et de consommation des ménages, on sait quel groupe social consomme quoi, avec quelle régularité, on essaye aussi d'intégrer la dimension de l'épargne. Il s'agit de prendre en compte le bilan carbone des investissements financiers".

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Par ailleurs, des études en économie et en psychologie expérimentales montrent que pour être altruiste il faut avoir le sentiment qu'on n'est pas le seul à contribuer. Coralie Chevallier explique : "quand on doit contribuer à un effort collectif comme la lutte contre le réchauffement climatique, on cherche à détecter toutes les personnes qui peut-être ne font pas leur part et on cherche à faire soi-même sa part, mais pas plus. C'est un problème car on a tendance à se considérer comme supérieur à la moyenne et on se dit assez facilement qu'on fait déjà sa part. Ce qui est important c'est d'avoir à l'esprit qu'on est très vigilant à tout signe de tricherie, certaines personnes auraient la possibilité de ne pas contribuer à l'effort commun".

La prise en compte des inégalités doit désormais se trouver au cœur de l’élaboration des politiques climatiques

Il existe toutes sortes de façons de tenir les engagements pris pour 2030 et il n’y a pas de solution unique et toute faite, ni de formule magique, pour mettre en place des politiques adéquates. L’important serait de tenir compte, dans l’élaboration des politiques climatiques, des profondes inégalités en matière d’émissions de CO2. Selon Lucas Chancel "en France, on a des besoins d'investissement qui sont considérables et on est en sous-investissement manifeste sur la transition écologique. On est actuellement à environ 30 milliards d'investissement/an, il faudrait atteindre les 60 milliards, un mixte d'investissements publics et privés". Concernant les 10% les plus riches, la question est de savoir comment les inciter à réduire leurs émissions, la taxation ou l’interdiction n’actionnent pas les mêmes leviers psychologiques et cognitifs et n'auront donc pas les mêmes effets. Il faut réfléchir à l’acceptabilité de la mesure et aux effets écologiques qui en découlent afin de les maximiser. Selon Coralie Chevallier, "la plupart des 10% les plus aisés n'a aucune idée de son niveau de pollution, car ils pensent faire déjà leur part et il y a une différence fondamentale entre une taxe, dont le sous-entendu est que c'est autorisé mais que ça coûte cher et une interdiction".

Références sonores

Bibliographie

  • Coralie Chevallier et Mathieu Perona : Homo sapiens dans la cité (Odile Jacob, 2022)
  • Rapport sur les inégalités mondiales 2022, coordonnée par Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Gabriel Zucman (Seuil, 2022)
  • Lucas Chancel : Insoutenables inégalités pour une justice sociale et environnementale (Les petits matins, 2021)

Références musicales

Millionnaires, par Joyca

J’imagine, par Sopico