Les travailleurs du chômage : épisode 3/3 du podcast Etat social, tu perds ton sang froid

La fusion de l’ANPE et d’une partie de l’assurance chômage donne naissance à Pôle Emploi en 2009.
La fusion de l’ANPE et d’une partie de l’assurance chômage donne naissance à Pôle Emploi en 2009. ©AFP - Philippe LOPEZ
La fusion de l’ANPE et d’une partie de l’assurance chômage donne naissance à Pôle Emploi en 2009. ©AFP - Philippe LOPEZ
La fusion de l’ANPE et d’une partie de l’assurance chômage donne naissance à Pôle Emploi en 2009. ©AFP - Philippe LOPEZ
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Comment les orientations de la politique d’emploi d’une part et la conjoncture économique d’autre part forgent-elles le travail des conseiller-es Pôle emploi ?

Avec
  • Jean-Marie Pillon sociologue, maître de conférence à l’Université Paris Dauphine, auteur de « Pôle emploi : gérer le chômage de masse », ed. Presses Universitaires de Rennes.
  • Anne Fretel économiste au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé, Lille-I), chercheuse à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES, associé aux syndicats) et membre des Economistes atterrés

Lundi 21 novembre 2022, le ministre du travail, Olivier Dussopt, présentait aux partenaires sociaux le projet de réforme de l’assurance-chômage. Cette réforme est pointée du doigt par les syndicats, comme un facteur risquant de faire basculer un grand nombre de personnes dans la pauvreté. Menée en parallèle de l’activation d’autres leviers de la politique de l’emploi, comme la réforme du lycée professionnel et le développement de la formation en continu, elle est révélatrice d’une certaine vision spécifique du marché du travail, qui est celle du service public de l’emploi depuis la création de l’ANPE en 1967 : une grande place où se croisent offre et demande de travail et que la puissance publique doit organiser pour favoriser une meilleure correspondance entre les deux parties.

Aux racines historiques de la figure du/de la conseiller-ère Pôle Emploi (1880-2008)

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Entre les années 1880 et la veille de la Première Guerre mondiale, le regard porté sur celles et ceux qui sont privé-es de travail change radicalement. C’est ce que Christian Topalov nomme, dans un ouvrage qui fait référence, la “naissance du chômeur”. Anne Frétel précise "on est encore dans une période où on se concentre sur la question du chômeur, avec une représentation individuelle et le comportement de la personne. Les stratégies sont encore celles de contrôle du chômeur, et progressivement grâce aux statistiques et avec de nouvelles représentations de l'économie, on va passer du chômeur au chômage comme étant consubstantiel du capitalisme industriel et qui va conduire à penser que le chômage doit être pris en charge collectivement. On sort du registre de la moralisation pour proposer des politiques plus institutionnalisées". La fin des années 1920 marque un moment important de pérennisation de l’Etat-Providence, avec les grandes lois sur les assurances sociales de 1928 et 1930. Elles instaurent un système d’assurance obligatoire qui couvre la maladie, la vieillesse, la maternité, les accidents du travail. Le chômage apparaît donc comme le grand absent des risques sociaux pris en charge par l’Etat, et il faut attendre 1958 et la création des Assédic pour voir la mise en œuvre d’un système national d’indemnisation. Jean-Marie Pillon ajoute "en 1958 va mettre mis en place un dispositif qui fait figure d'Ovni à bien des égards, une organisation tripartite du secours et de l'assurance aux chômeurs. On va réunir des dispositifs qui étaient éparses, qui étaient déjà là en gestation, autour d'un syndicalisme réformiste, parfois attaché à des formes de paternalisme. C'est aussi une raison pour lesquelles patronat, syndicat et Etat se retrouvent à la table pour gérer l'UNEDIC".

La fabrique de l’accompagnement vers l’emploi : de la politique d’orientation au travail de terrain

La création de Pôle Emploi poursuit un objectif clair depuis les années 1990 : activer les chômeurs. On recherche, dans un cadre théorique néoclassique qui marque les économistes de l’OCDE et les décideurs politiques, à moderniser le marché du travail via des réformes structurelles. Selon Jean-Marie Pillon "il y a une forme de paradoxe car finalement Pôle emploi diffère assez peu de l'ANPE dans ses soubassement théoriques. On est toujours dans la même idée, selon laquelle l'économie recourt à du travail et que celui-ci pourrait être organisé et régulé comme n'importe quel marché. Or on constate que le travail ne fonctionne pas comme une marchandise. On va adjoindre une institution qui va permettre de fluidifier le marché du travail. L'idée selon laquelle les individus seraient naturellement indolents et qu'il faudrait trouver des moyens de les inciter. Avec l'augmentation du chômage de masse, ces idées que les gens seraient disposés à ne rien faire reviennent sur le devant de la scène. Et c'est la raison pour laquelle on va essayer d'inciter les personnes à retrouver du travail".  Les notions d'employabilité et d'accompagnement émergent, Anne Frétel complète "l'accompagnement est pensé comme une nouvelle posture professionnelle où l'on va coconstruire l'action et on va s'assurer que la personne en est partie prenante, qu'elle est une demande à l'origine de l'apport que l'on peut lui proposer. C'est la fameuse phrase de beaucoup de conseillers “faire avec pour aller vers”".

Références sonores

Bibliographie

  • Jean-Marie Pillon : Pôle emploi. Gérer le chômage de masse (Presses universitaires de Rennes, 2017)
  • sous la direction d'Anne Fretel, Aurélie Gonnet et Léa Lima : Socio-économie du travail (Classiques Garnier, 2017)
  • Contrôler les chômeurs : une histoire qui se répète (forte de ses croyances et à l’abri des réalités), par Anne Fretel, Béatrice Touchelay, Marc Zune in "Revue Française de Socio-Economie", 2020

Références musicales

Why don't you get a job, par Offspring
Sunrise State (of Mind), par Abraxas